« Musique ! A l’aide ! », s’écrie L’Enchanteresse à Lyon

par

our son Festival ‘Vies et destins’, l’Opéra de Lyon propose en parallèle Didon et Enée, remembered selon Purcell complété par Kalle Kalima, Le Retour d’Ulysse de Monteverdi dans la version du Handspring Puppet Company et L’Enchanteresse, l’antépénultième ouvrage de Tchaikovsky, écrit entre août 1885 et septembre 1886.
Il y a deux ans, le San Carlo de Naples en proposait la création italienne dans une mise en scène de David Pountney. A Lyon, la direction fait appel au régisseur ukrainen Andriy Zholdak qui conçoit aussi les décors (en collaboration avec son fils (?) Daniel) et les lumières, quand Simon Machabeli réalise les costumes ; il fait table rase de la trame, du lieu et de l’époque pour nous livrer ses fantasmes personnels en matière de sexe et de religion. Qu’on en juge : le livret d’Ippolit Shpazinsky est focalisé sur Nastasya dite Kuma, tenancière d’une auberge de campagne aux confins de l’Oka et de la Volga, qui exerce une ensorcelante fascination sur le Prince Nikita Kurlayev dont elle refuse les avances ; par contre, elle s’éprendra de son fils Yuri, envoyé par sa mère, la Princesse Evpraksya Romanovna, folle de jalousie, pour mettre un terme aux jours de la ‘sorcière’. Le dénouement sera terrible : Nastasya sera empoisonnée par les bons soins de l’épouse outragée, et le fils sera abattu par son père.

Que voit-on ici ? Le vieux clerc Mamirov, omniprésent dans cette relecture, quand le livret ne le sollicite que pour les deux premiers actes, paraît dans une projection vidéo, tandis qu’il prend un taxi pour se rendre à l’Opéra de Lyon. Par le miracle d’internet, il est transporté aux abords de Nijni Novgorod où le décor profite du plateau tournant pour nous livrer effectivement l’intérieur d’une auberge délabrée, jouxtant une abside d’église catholique avec un gigantesque Christ en croix que l’on éborgne à souhait et un confessionnal où un satyre obèse poursuit l’étudiant à lunette que voudront déniaiser deux ou trois compagnes de la tenancière, bouche ouverte… Chez le Prince Nikita, rentrant de son jogging, l’on n’a guère meilleure tenue, puisque le personnel doit ramper devant ses maîtres et que l’on ouvre son pantalon pour uriner dans la soupière, tandis qu’un dégénéré sur brodequins à semelles compensées tient compagnie à la Princesse, fantôme d’une Gencer revenant de chez son couturier en exhibant sa parure de diamants face à sa sœur Nenila qui envie son sort. Au terme de trois heures de cette aberrante supercherie, le dénouement vaut son pesant de cacahuètes : alors qu’Evpraksya et ses proches entourent le cercueil du fils, son époux, devenu fou, agite une crevure de plante pendant que Mamirov, en tenue estivale verdâtre, manipule rageusement une raquette de tennis. Et pensez bien qu’un tel génie de la mise en scène ne sait que faire des composantes pittoresques du livret, puisque les chœurs de villageois et de chasseurs sont condamnés à officier dans la fosse d’orchestre et que la danse des bouffons se résume à quelques soubresauts grotesques du clerc, du maître de chasse et même du Prince qui avait pourtant souhaité que l’on dansât pour lui !

Si vous avez le courage de fermer les yeux, l’oreille y trouve largement son compte ! A la tête des Chœurs (magnifiquement préparés par Christophe Heil) et de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, le jeune directeur musical de la maison, Daniele Rustioni, rend justice à cette partition fascinante dont il sait faire valoir le génie d’écriture et ce coloris rustique que saccage la production. Et continuellement, le souffle dramatique innerve ce lyrisme passionné jusqu’à l’outrance.

L’ensemble de la distribution vocale est tout aussi remarquable : Elena Guseva campe une Nastasya fière dans son honnêteté, défiant les limites de sa condition d’aubergiste pour déclarer son amour grâce à un timbre de ‘lirico spinto’ qu’embrasent toutes les nuances d’expression. Par d’impétueux accents émouvants lui répond le jeune Yuri du ténor Migran Agadzhanyan, tandis que son père, le Prince Nikita, au coloris granitique saisissant, affiche la morgue hautaine et péremptoire du baryton-basse Evez Abdulla. Le mezzo corsé de Ksenia Vyaznikova, incarnant sa redoutable épouse, se charge d’inflexions vipérines que le retors Mamirov de Piotr Micinski rendra fielleuses en jouant l’obséquiosité servile. Dans le même sillage s’inscrivent le sorcier Kudma de Sergey Kaydalov et le moine vagabond Païsy de Vasily Efimov, alors que Mairam Solokova et Clémence Poussin personnifient avec bon sens et rigueur Nenila, la sœur d’Evpraksya, et Polia, la confidente de Nastasya.

Au terme de la quatrième représentation, les auteurs de la forfanterie scénique ayant depuis longtemps quitté les lieux, les spectateurs du dimanche après-midi applaudissent à tout rompre les artisans de la réussite musicale !  

Paul-André Demierre

Lyon, Opéra, le 24 mars 2019

Crédits photographiques : © Stofleth

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