Il était une fois, -voyage avec Jean-Baptiste Robin dans l’imaginaire du conte et du temps

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Once upon a time. Jean-Baptiste Robin (*1976) : Improvisation on Fairy Tales ; The Hands of Time. Piotr Tchaïkovski (1840-1893) : Danse de la fée dragée (Casse-noisette). Jules Massenet (1842-1912) : les Mandores (Cendrillon). Maurice Duruflé (1902-1986) : Suite opus 5. Claude Debussy (1862-1918) : Clair de lune. Marcel Dupré (1886-1971) : Deuxième Esquisse opus 41 no 2. Frédéric Chopin (1810-1849) : Prélude opus 25 no 15. Maurice Ravel (1875-1937) : Ma Mère l'Oye. Jean-Baptiste Robin, orgue du Walt Disney Concert Hall de Los Angeles. 2020. Livret en anglais, français. TT 77’21. Brilliant 96134

« We are not trying to entertain the critics. I’ll take my chances with the public » disait Walt Disney. Et pourtant même la gent chroniqueuse la plus chagrine peut se trouver conquise par le projet de cet album. Il « nous raconte une histoire, à la manière du Il était une fois par lequel débutent tous les récits féériques » selon Gilles Thieblot, auteur de la notice. L’orgue du Walt Disney Concert Hall, une salle dont la construction fut impulsée en 1987 par la veuve du magnat du divertissement, inspire un programme ouvert sur le monde de l’enfance et du conte. Au sein de cette thématique fertile, on pouvait songer au Traumerei des Kinderszenen de Schumann (arrangées par Alexandre Guilmant), aux Jeux d’enfants de Bizet que Lionel Rogg avait enregistrés à Genève il y a une vingtaine d’années. Mais cette anthologie bien remplie (presque une heure vingt) se penche sur d’autres œuvres et valorise les ressources de cet instrument hors norme. Ne serait-ce que son apparence, ses tuyaux courbés, en pin d’Oregon, qui jaillissent telles une forêt torve ou des gerbes pyrotechniques. On les compare aussi parfois à des frites… La partie visible, dont le Violonbasse et le Contrebasson en 32’, ne représente que 2% des 6134 tuyaux.

La discographie de cet orgue, inauguré en juillet 2004, compte une poignée d’albums, dont un DVD & CD (The Walt Disney Concert Hall Organ, produit par Sable Arms, chez Kultur) qui incluait quelques pièces que l’on retrouve dans le présent disque : Marche du Casse-noisette (sur laquelle improvise Jean-Baptiste Robin, en exergue), Clair de Lune transcrit d’après la Suite bergamasque : cette page rêveuse devait apparaître dans le célèbre Fantasia de 1940, mais fut plutôt transférée dans le court métrage Blue Bayou de 1946. En revanche, dans Fantasia figurent les péripéties de L’Apprenti Sorcier de Paul Dukas, compositeur à qui Maurice Duruflé dédia sa Suite en triptyque, retenue par Jean-Baptiste Robin, peut-être la seule œuvre qui ne se relie pas directement au concept, mais qui malgré l’alibi constitue une étape consistante. Surtout quand elle valorise comme ici l’interprète et l’instrument de Los Angeles, qui fait assaut de la puissance de ses anches à la fin de la Toccata. Même aubaine, même maestria dans l’implacable Esquisse no 2 de Marcel Dupré (en fait, la troisième de l’opus 41) dont les fantasmagories produisent tout leur effet. Le romanesque donne la main à la légende pour les Préludes de Chopin, écrits lors du séjour aux Baléares avec George Sand, et qui suscitèrent des exégèses controversées, à l’instar de ces lugubres gouttes d’eau censées ruisseler de celui en ré bémol majeur. Les crescendos et decrescendos exploitent tout l’éventail dynamique et instaurent un climat oppressant qui convient particulièrement à l’orgue. Si l’intégralité de l’opus 28 vous tente, voyez le CD de Gunther Rost à Kevelaer (Oehms).

Le site du facteur Manuel Rosales précise que la sonorité de son orgue est conçue pour accompagner l’orchestre et non pour l’imiter. Ce qui n’empêche pas de s’essayer au difficile exercice de transposer aux tuyaux la ravissante instrumentation de Ma Mère l’Oye, établie par l’interprète. Dire que la magie de la version orchestrale se transfuse sans regret serait mentir, pourtant les jeux solistes, les boîtes expressives (sous louvered shutters) produisent un résultat séduisant, et souvent enchanteur. Transcendé par le génie mélodique ravélien, certes, mais intelligemment cerné par les registrations, par exemple celles qui illustrent les violoncelles et contrebasses en pizzicato à la mesure 49 (1’15) des Entretiens de la Belle et la Bête. Une transcription fort adroite qui s’ajoute à celles de Guy Bovet (Collégiale de Neuchâtel chez Gallo) et Günther Kaunzinger (chez Novalis) chacune gravées il y a une vingtaine d’années.

Le disque se referme sur une toute récente composition (2018) de Jean-Baptiste Robin, dont l’imaginaire s’est nourri « de l’écoulement inexorable du temps et l’envoûtement de ses éléments ». Un lourd et mordant exorde structure la perspective. Des phases de subtilité, mobiles, balisées, propices à la réflexion (0’30, 3’16) s’enflent respectivement jusqu’à un premier palier (2’51) et un second (7’51-8’50), celui-là climax dévorant, que suit une conclusion d’abord philosophe et enfin édifiante. On pense aux figures mythiques : Chronos et Kairos pourraient alimenter le moteur dialectique de cette œuvre (éditée chez Gérard Billaudot) forte et intrigante qui mérite de s’installer au répertoire. Et conclut un disque admirablement conçu et servi, foncièrement éloigné de la puérilité qu’on aurait pu redouter au vu de son titre, et que pourrait parapher cette phrase d’Emil Cioran (La Chute dans le temps) : « une civilisation débute par le mythe et finit par le doute ».

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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