Incursion chez le jeune Mendelssohn, laboratoire stylistique pour l’Europa Galante 

par

Felix Mendelssohn (1809-1847) : Sinfonie pour cordes no 2 en ré majeur, no 5 en si bémol majeur ; Concerto pour violon en ré mineur ; Salve Regina pour soprano et cordes en si bémol majeur ; Fuga pour quatuor à cordes en mi bémol majeur ; Largo et Allegro pour piano et cordes en ré mineur ; Fugas a tre en sol mineur, en ré mineur. Monica Piccinini, soprano. Paola Poncet, pianoforte. Fabio Biondi, Europa Galante. Juillet 2020. Livret en français et anglais. TT 62’24. Naïve V7262

Il y a déjà trois décennies, l’ensemble Europa Galante contribua à bousculer les codes de l’interprétation, notamment grâce à une stimulante moisson vivaldienne : ludique, hédoniste, souvent euphorisante. À l’intérieur du livret, l’interview de son mentor prévient certaines questions que l’on se poserait au sujet du répertoire mendelssohnien ici abordé, loin de ce port d’attache baroque. Certes il s’agit de pages juvéniles et d’adolescence, écrites entre 1820 et 1827 sous les prémices du romantisme musical. Mais les racines esthétiques du prodige, par inspiration ou nostalgie, plongent au classicisme du siècle précédent, comme en attestent par exemple les pièces fuguées, son goût pour la musique pure, et le tissu polyphonique du Concerto en ré mineur, bien moins extraverti que son célébrissime aîné en mi mineur opus 64.

Et de toute façon, Fabio Biondi rappelle depuis de nombreuses années travailler avec ses troupes sur cette époque de transition, et que lui consacrer un album « s’inscrit parfaitement dans la recherche [qu'il] mène sur l’ensemble du répertoire ». Cette éclectique curiosité, cette hauteur de vue font tout le prix de cette interprétation, de surcroît patinée par la couleur des instruments anciens et par un art de phrasés qu’on sent nettement importé des pratiques « historiquement informées » au meilleur sens du terme, sans tic maniériste. Pour le Concerto qui constitue la pièce la plus développée du programme, de valeureuses alternatives existent certes, notamment Gustav Schmahl (avec Helmut Koch, Berlin Classics), Viktoria Mullova (avec Neville Marriner, Philips) ou Gidon Kremer et l’Orpheus Chamber Orchestra (DG), mais l’on se laisse volontiers conquérir par le nerveux archet du maestro Biondi et son frémissant aréopage d’une dizaine de cordes.

L’interview ne nous explique pas pourquoi ces deux Streichersinfonien ont été choisies parmi les douze. La vaste neuvième, d’aucuns l’estiment la plus attrayante et ouvragée du lot, n’est pas incluse. Peut-être parce qu’elle implique une autre envergure et une respiration dramatique plus ample. Pour l’intégrale, on se fiera toujours à Kurt Masur et son Gewandhausorchester de Leipzig (Berlin Classics), d’un tempérament plus romantique et d’un geste large et appuyé. Malgré des effectifs plantureux, le chef allemand n’apparaissait pas moins nettement tracé que l’Europa Galante ; l’Allegro Vivace de la cinquième Sinfonia ne semble pas ici très à l’aise, comme aux prises avec un matériau réfractaire. Les oreilles flâneuses apprécieront en tout cas le voisinage avec des pages rares, comme les chambristes fugues à trois, le fragmentaire diptyque avec clavier, et le Salve Regina servi avec humilité par la soprano Monica Piccinini… même si les recettes du tout jeune Félix s’annoncent bien fades, et d’une banalité sans commune mesure avec la géniale Ouverture du Songe d’une Nuit d’été qui adviendra bientôt.

Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 5-9 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

 

 



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