Heinz Holliger et deux de ses disciples dans un superbe et inattendu programme pour deux hautbois et cor anglais
Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Variations sur « Là ci darem la mano » pour deux hautbois et cor anglais, WoO 28, Trio en ut majeur pour deux hautbois et cor anglais ; Anton Wranitzky (1761-1820) : Trio en ut majeur pour deux hautbois et cor anglais ; Rudolph Ganz (1877-1972) : 2 Klavierstücke, Op. 31 (arrangement pour deux hautbois et cor anglais de Heinz Holliger) ; Heinz Holliger (*1939) : En c(h)leur - encore : petit trio pour deux hautbois et cor anglais. Heinz Holliger (hautbois), Andrea Bischoff (hautbois), Marie-Lise Schüpbach (cor anglais). 2022 - Textes de présentation en allemand et anglais -Prospero PROSP0028
D’abord reconnu pour ses exceptionnels talents de hautboïste, penseur musical et compositeur de tout premier plan (son Concerto pour violon -paru en 2004 déjà chez ECM par Thomas Zehetmair sous la direction du compositeur- aurait dû entrer depuis longtemps au répertoire), pédagogue renommé, excellent chef d’orchestre, Heinz Holliger est avant tout un esprit perpétuellement curieux.
C’est ainsi que cet enregistrement voit le musicien suisse revenir à plus 80 ans à son instrument de prédilection en compagnie de deux de ses anciennes élèves et compatriotes -aujourd’hui musiciennes établies- dans un répertoire inattendu pour cette rare formation de deux hautbois et d’un cor anglais.
C’est Beethoven qui se taille ici la part du lion, avec deux oeuvres composées dans les années 1790. Ecrit en quatre mouvements et long de près de 23 minutes, Trio, Op. 87 de 1795 impressionne non seulement par la maîtrise de l’écriture pour cette formation très à la mode entre 1780 et 1800, mais aussi par sa qualité musicale qui semble clairement annoncer les deux premières symphonies. La réelle et inattendue profondeur de l’Adagio montre bien qu’on est loin d’un innocent divertissement, alors que le Presto final est un éblouissant jeu d’esprit.
Les Variations sur « Là ci darem la mano » -choisies à juste titre pour ouvrir cette parution- sont un véritable enchantement. La façon dont le jeune Beethoven traite l’exquis duo tiré du Don Giovanni de Mozart démontre la maîtrise consommée de l’art de la variation de la part du jeune compositeur (on pouvait s’y attendre), mais le charme et la séduction qui émanent de la musique sont certainement moins attendus.
La véritable découverte de ce disque est cependant l’impressionnant Trio d’Anton Wranitzky qui nous révèle un compositeur de grand talent et donne vraiment envie d’en savoir plus sur l’oeuvre de ce brillant violoniste virtuose et compositeur originaire de Moravie, élève de Mozart et de Haydn et ami de ce dernier et de Beethoven. La qualité de la musique étonne agréablement avec, après un premier mouvement de forme sonate précédé d’une majestueuse introduction lente, un Andante d’une réelle profondeur, puis un Menuet plein de vie avec deux Trios dont le second frappe par son caractère fin et sombre. Ce splendide Trio se conclut sur un brillant Rondo plein d’esprit.
Pour nous rappeler qu’il est aussi compositeur et suisse, Holliger adapte pour cette formation deux oeuvres pour piano de Rudolph Ganz, pianiste, chef, pédagogue et compositeur suisse qui fit la plus grande partie de sa carrière au Etats-Unis où il enregistra d’ailleurs dès avant la Première Guerre mondiale. Il fit beaucoup pour la diffusion de la musique moderne dans son pays d’adoption et Ravel lui dédia le Scarbo de Gaspard de la nuit. Comme le dit Holliger dans le livret, ces deux morceaux (The Little Sphinx et The Little Elf) de Ganz se situent quelque part entre Ives, Bartók et Ravel.
Le Trio Les Roseaux Chantants conclut ce bel enregistrement par trois récentes compositions dues à la plume de Heinz Holliger : d’abord un Praeludchen et une Fugettchen aphoristiques et spirituels, suivis de Rondes, un hommage rendu à la valeur de note du même nom plutôt qu’à la danse homonyme.
Son 10 - Livret 9 - Répertoire 9 - Interprétation 10
Patrice Lieberman