Jae-Hyuck Cho à l'orgue

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Bach (1685-1750) : Toccata et Fugue BWV 565 ; Widor (1844-1937) : Sicilienne du Bach’s Memento n° 5 et Toccata de la Symphonie pour orgue n° 5 ; Kim (1980) : Pahdo ; Liszt (1811-1886) : Fantaisie et Fugue sur un thème de Bach et Fantaisie et Fugue sur le choral « Ad nos, ad salutarem undam ». Jae-Hyuck Cho à l’orgue de l’église de la Madeleine à Paris. 2019. Livret en anglais et en français. 72.24. Evidence EVCD058.

« M’asseoir à la console de La Madeleine, à la suite de ces musiciens illustres qui ont marqué son histoire, fut particulièrement émouvant. Ce fut surtout un honneur de jouer en ce lieu sacré et tellement exceptionnel. J’avais l’impression que l’orgue de La Madeleine était vivant. J’ai beau savoir que l’orgue est contrôlé par l’électricité et un dispositif mécanique, je n’en reste pas moins persuadé qu’il a une vie et une volonté propres, tel un organisme vivant qui réagit différemment à chaque instant selon son environnement et l’organiste qui le joue. » Cet acte de foi exprimé par l’organiste sud-coréen Jae-Hyuck Cho traduit avec justesse l’investissement qu’il a placé dans l’interprétation d’un programme qui fait la part belle à la virtuosité et à la grandeur, mais aussi au sens des nuances et à la couleur des pièces choisies pour ce CD dont la qualité technique est à souligner. Elle rend avec profondeur la prodigieuse vitalité de ce grand orgue construit par Cavaillé-Coll en 1846 (après celui de la Basilique Saint-Denis et celui de Notre-Dame de Lorette). François-Henri Houbart en est le titulaire depuis 1979. Avant lui, on trouve des noms prestigieux : Lefébure-Wély à l’origine, Saint-Saëns, Fauré, Jeanne Demessieux, Odile Pierre… Widor ou Gigout, et bien d’autres, s’y sont également produits. Classé monument historique, le grand orgue de la Madeleine a subi quelques interventions depuis le milieu du XIXe siècle, les plus récentes datant d’une vingtaine d’années mais le matériel d’origine a été préservé en majeure partie, ce qui en fait un témoin important du grand romantisme français.

On comprend la fascination de Jae-Hyuck Cho pour ce lieu qu’il a pu investir du 27 au 30 août 2018 afin d’y enregistrer un programme audacieux. Cet artiste a étudié le piano dès l’âge de cinq ans et suivi les cours de la Manhattan School of Music à New York. Il a opté pour l’orgue comme second instrument, ce qui lui a permis, au-delà de sa carrière de soliste débutée en 1993, d’être organiste dans plusieurs églises. Il explique dans le livret l’émotion ressentie par le simple fait de toucher « les parois des tuyaux avec précaution ». Cho compte à son actif des enregistrements de partitions pianistiques de Beethoven, Liszt, Ravel, Schumann ou Chopin.

Le présent CD s’ouvre par une version spectaculaire de la BWV 565 de Bach qui permet à Jae-Hyuck Cho, tout comme d’ailleurs dans la Sicilienne ou la Toccata de Widor, de déployer une virtuosité qui n’est pas ostentatoire mais qui veille à mettre en évidence, avec mesure et discipline, les accents rythmiques, la construction et le développement. Il propose aussi une pièce commandée à son compatriote Texu Kim ; celui-ci précise dans une notice que le titre Pahdo, qui signifie « vague océane » en coréen, est destiné à rendre hommage au « reflet de la lumière dorée du soleil sur le bleu vitreux » de l’eau et au « jeu des vagues qui se pourchassent entre elles ». Une fluidité impressionniste se dégage de cette pièce évocatrice, complétée par une mélodie issue d’une chanson populaire.  

Le plat de résistance de ce récital, c’est Liszt, qui occupe les deux tiers du CD. Ce choix rend bien compte des qualités de l’interprète car Jae-Hyuck Cho n’a pas reculé devant deux partitions impressionnantes. A commencer par la Fantaisie et Fugue sur le nom de Bach qui date de 1855 et que le compositeur remaniera plus tard. C’est une page étincelante d’une douzaine de minutes au cours de laquelle Liszt entremêle des effets complexes, alternant les demi-teintes et les moments solennels. Si elle est redoutable quant à la mise en place, que Cho rend avec éloquence, que dire alors de la Fantaisie et Fugue sur le choral « Ad nos, ad salutarem undam » écrite en 1850 ? Il s’agit d’une immense fresque qui dépasse la demi-heure et que Saint-Saëns a évoquée comme étant « le morceau le plus extraordinaire qui existe pour l’orgue ». Elle est inspirée du choral des trois anabaptistes qui appellent les paysans à la révolte, choral tiré de l’acte I de l’opéra Le Prophète de Meyerbeer. A partir d’un seul thème, Liszt entreprend une série de variations en trois sections, avec récitatifs expressifs, adagio de transition et puissance colossale finale qui s’achève dans une apothéose triomphale. C’est grand, c’est monumental, c’est sublime, d’un bout à l’autre. Jae-Hyuck Cho affronte ce géant avec une intensité qui demeure constante et qui impressionne par la maîtrise qu’il manifeste devant les déferlements d’une partition qui, toujours selon Saint-Saëns, « augmente singulièrement les ressources » de l’instrument. L’organiste sud-coréen se livre à une magnifique démonstration qui emporte l’adhésion. Il utilise tous les registres de ce Cavaillé-Coll extraordinaire dont il exploite avec art et intelligence le matériel sonore, il joue de l’emphase comme de la déclamation, tout en exaltant les détails de la polyphonie et la flamboyance des lignes et des contrastes. Lorsque le CD s’achève, lorsque l’orgue vibre encore, on se prend à frissonner face à une telle grandeur.

Jean Lacroix

Son : 10   Livret : 8   Répertoire : 10   Interprétation : 10

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