Le violoncelle et la renaissance musicale anglaise
Rebecca CLARKE (1886-1979) – Sonate pour violoncelle et piano. Frank BRIDGE (1879-1941) – Serenade, Spring Song, Scherzo, Sonate pour violoncelle et piano. Ralph VAUGHAN WILLIAMS (1872-1958) – Six Studies in English Folk Song. Natalie Clein (violoncelle), Christian Ihle Hadland (piano) – 60’07 – Textes de présentation en français, anglais et allemand – Hyperion CDA68253
La violoncelliste Natalie Clein et son pianiste Christian Ihle Hadland nous offrent ici des versions de référence de trois œuvres datant de la renaissance musicale anglaise du début du XXe siècle, signées Rebecca Clarke, Frank Bridge, et Ralph Vaughan Williams.
Rebecca Clarke ? On se désole de savoir que seuls les altistes (aventureux) connaissent le nom de cette altiste-compositrice du début du XXe siècle, née en 1886 et décédée en 1979. Et pourtant, elle fut la première femme à étudier la composition avec Sir Charles Villiers Stanford (l’illustre professeur de Holst et Vaughan Williams), étudia l’alto avec le légendaire Lionel Tertis, et joua en concert avec, entre autres, Pablo Casals, Pierre Monteux et Georg Szell… On découvre ici sa somptueuse Sonate pour alto et piano de 1919, dans la version arrangée par Clarke elle-même pour violoncelle et piano. Basée sur un extrait de La Nuit de Mai d’Alfred de Musset, elle juxtapose le lyrisme du romantisme avec les textures et les innovations harmoniques impressionnistes, tout en offrant une veine rhapsodique et une esthétique folklorique qui rappellent le style de son contemporain Ralph Vaughan Williams. Du point de vue formel, l’écriture fait preuve d’une lisibilité structurelle remarquable -la forme cyclique en 3 mouvements englobe une variété de thèmes clairement énoncés, développés, et ensuite réintroduits dans le final.
Trois courtes pièces de salon de Frank Bridge, jolies mais peu mémorables, vont assurer la transition entre la Sonate pour alto de Clarke et celle pour violoncelle de Bridge, son ainé de sept ans. Moins exubérante, plus dramatique, douloureuse et, par-dessus tout, bouleversante que la précédente, cette sonate fait découvrir le drame de la 1e Guerre Mondiale. L’œuvre fait la transition entre l’univers musical idyllique et pastoral du compositeur d’avant-guerre avec son style expressionniste d’après-guerre. La sonate pour violoncelle, écrite entre 1913 et 1917, porte les traces d’une introspection et d’un questionnement intense -ce pacifiste aurait longtemps arpenté les rues londoniennes en temps de guerre, désespéré par la futilité de la guerre et l’état du monde. Si Clarke s’envole avec des textures debussystes, Bridge, lui, transforme progressivement son romantisme brahmsien en modernisme viscéral.
Le disque se clôt avec les Six Studies in English Folk Song de Ralph Vaughan Williams, des miniatures dans un style populaire où le dénuement harmonique et la simplicité mélodique sont poignants.
Natalie Clein et Christian Ihle Hadland signent ici un enregistrement cohérent avec des interprétations éloquentes qui égalent –surpassent ?- celles de ses ainés (Rostropovich-Britten, Wallfisch-York). Si la prise de son assez rapprochée traduit aisément l’intensité de jeu de ces deux virtuoses, étrangement, au tout début du 2e mouvement de la Sonate de Clarke, on a l’impression que le son de la violoncelliste est étouffé. Un enregistrement-phare qui mérite d’avoir sa place dans la collection de chaque mélomane, sans aucun doute. Bravo !
Pierre Fontenelle, Reporter de l’IMEP