Doomin Kim enchante Mendelssohn

par

Felix Mendelssohn (1809-1847). Oeuvres pour piano : Capriccio op. 5, Trois Fantaisies ou Caprices op. 16, Deux Pièces WoO19, Six Pièces enfantines op. 72, Rondo capriccioso op. 14, Andante con variazioni op. 82, Fantaisie « Sonate écossaise » op. 28. Doomin Kim. 2019. Livret en anglais, français et allemand. 59’ 54. Warner 0190295679767.

Le livret a beau être en trois langues et nous proposer quatre belles photographies de l’interprète, Doomin Kim, il ne nous dit rien de ce dernier alors qu’il s’agit d’un jeune Sud-Coréen âgé de 16 ans seulement, dont c’est le premier enregistrement. Il faut dès lors se rabattre sur internet pour savoir que dès l’âge de sept ans, Doomin Kin se mettait à l’étude du piano ; quelques mois plus tard, il était déjà capable de jouer des Etudes de Czerny. Son talent en formation le mena à Paris, à l’Ecole Normale Supérieure de Musique, où il a suivi son cursus avec le pianiste américain Michael Wladkowski. Ce jeune virtuose, selon ses propos, a choisi pour ce premier galop discographique un programme « où prédominent les couleurs, la chaleur, et le charme, des pages qui sont comme des poèmes ou des contes de fée et apportent la paix dans les cœurs ». Toutes ces intentions se concrétisent dans un CD qui est bien plus qu’une simple carte de visite. C’est une belle promesse pour l’avenir.

Le choix s’est porté sur le prodige Mendelssohn dont le talent précoce et lumineux appelle Doomin Kin à se transcender pour transmettre le message qu’il s’est donné ici pour ligne de conduite. Le jeune pianiste n’a pas cherché la facilité, car le programme, enregistré en octobre 2017 (il n’avait donc pas encore 15 ans ?), est composé de pièces consistantes. Il s’ouvre par le Capriccio opus 5 publié par Mendelssohn à 16 ans, une œuvre-défi, scherzo typique dans lequel la vitesse le dispute à la précision avant que le lent second thème apparaisse comme le premier hommage d’une longue série que le compositeur accordera à Bach. Doomin Kin capte tout de suite l’attention par son souci de rigueur et par sa virtuosité. Son récital se poursuit par les Trois Fantaisies ou Caprices opus 16 de 1829 qui évoquent le souvenir du premier voyage de Mendelssohn en Angleterre au cours duquel il rencontre la famille Taylor et écrit une pièce pour chacune des trois filles de son hôte. La deuxième est célèbre et évoque une image de nature, celle de fleurs en forme de trompettes sur une plante grimpante. Suivent de charmantes et chantantes pièces enfantines, celles de l‘Opus 72, des miniatures du style romance, dernière publication du compositeur avant sa disparition. Quant au Rondo Capriccioso opus 14, c’est l’une des pièces les plus souvent jouées du catalogue pianistique de Mendelssohn, composée en 1828 puis remaniée deux ans plus tard, avec un contexte amoureux en arrière-plan. La virtuosité du compositeur y est étincelante et n’est pas sans rappeler l’atmosphère du Songe d’une nuit d’été et ses sonorités orchestrales légères et féeriques, dans un contexte lyrique au cours duquel le rondo s’épanouit avec finesse. Les cinq morceaux de l’Andante con variazioni opus 82 de 1841, que Mendelssohn qualifiait lui-même de « variations sentimentales », se déploient en rythmes allants et en sonorités poétiques, en particulier la quatrième aux accents mystérieux. Pour clôturer ce récital, Doomin Kin a choisi la Fantaisie opus 28, connue aussi sous le titre de « Sonate écossaise » en raison de l’évocation de la harpe et de bourdons de cornemuse à la main gauche. En trois mouvements enchaînés, elle a connu une gestation de plusieurs années, de 1828 à 1834. Le souvenir de Beethoven est manifeste dans la partie centrale, encadrée par l’allusion écossaise et un presto final de forme sonate. On y entend des épisodes mouvementés comme des moments plaintifs parfois un peu contradictoires qui demandent à l’interprète un soin particulier pour l’équilibre de l’ensemble.

C’est précisément la qualité principale que l’on peut retirer du premier CD signé par Doomin Kim, cette volonté permanente de respirer quand il le faut, de faire chanter le clavier lorsque la partition le réclame, d’apporter sa sensibilité manifeste aux élans comme à la dimension poétique. On saluera comme il convient ce qu’il faut bien considérer comme une réussite. Ce jeune pianiste propose un récital intelligent, bien préparé et bien dosé, car il met en valeur son jeu où apparaissent déjà des affinités avec le lyrisme. Nous attendons de l’entendre dans un autre répertoire qui conforterait les indéniables capacités de Doomin Kim pour nous assurer que ce jeune talent est de l’essence de tant de grands prédécesseurs. La note que nous lui accordons tient compte de cette juvénilité en marche.

Son : 9   Livret : 8    Répertoire : 10    Interprétation : 9


Jean Lacroix          

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