Karine Deshayes fait rayonner le grand opéra français  

par

Une amoureuse flamme. Airs de Jules Massenet, Camille Saint-Saëns, Hector Berlioz, Fromental Halévy, Georges Bizet. Karine Deshayes, mezzo-soprano ; Orchestre Victor Hugo, Jean-François Verdier, 2018-présentation et textes en français et anglais- chanté en français-KLARTHE K064

Le titre emprunté à la Romance de Marguerite du Faust de Berlioz célèbre une amoureuse flamme et... une remarquable carrière d’artiste lyrique. Consacré à l’opéra français entre 1835 et la fin du siècle, cet enregistrement en offre la brillante illustration. Dotée d’une voix au timbre chaud associé à une tessiture dite de «mezzo léger» ou «soprano II», Karine Deshayes a su faire de ses limites de formidables atouts. En particulier de cette tessiture intermédiaire qu’elle a intelligemment conduite depuis le répertoire mozartien et baroque, puis rossinien, pour aborder enfin le grand opéra français, stimulée par l’exemple de Régine Crespin. Mais à l’inverse de cette dernière qui passait des scènes wagnériennes aux mélodies de Francis Poulenc, la cadette a tracé son chemin à partir de compositeurs qui requièrent légèreté et souplesse pour développer peu à peu une émission plus large lui ouvrant les portes de rôles destinés aux grands sopranos -voire contre-altos- dramatiques. Ainsi de Sapho composé par Gounod pour Pauline Viardot, de Charlotte de Massenet créée par Marie Renard qui chantait aussi Azucena (Il Trovatore de Verdi) et Mignon d’Ambroise Thomas ; de Marie Delna, autre Charlotte choisie par Massenet pour Werther, contre-alto qui incarna à la suite de Pauline Viardot, Fides de Meyerbeer (Le Prophète) et Orphée de Gluck dans la version de Berlioz. Pauline Gueymard créatrice de la Reine de Saba, quant à elle, avait Leonore du Trouvère, Eboli (Don Carlos) ou encore Amnéris (Aïda) à son répertoire. La première Chimène de Massenet (Le Cid) chantait, de même, Marguerite, Elvira ou Elsa. Or ce sont précisément les airs que Karine Deshayes a choisis pour ce programme tout en reconnaissant qu’elle n’aborderait jamais ni Verdi, ni Wagner. Néanmoins, le décalage de format s’efface spontanément tant sa musicalité, son phrasé, sa conduite du souffle prêtent à ces pages célèbres une ampleur, une souplesse et une beauté évidentes. Si on relève parfois une légère retenue dramatique et si l’air «Il va venir» de La Juive d’Halévy ne convainc pas complètement de ses affinités avec Cornélie Falcon qui fut la première Rachel face à l’Eléazar d’Adolphe Nourrit, la version alternative de la Habanera de Carmen semble en revanche écrite pour elle. Elle en fait ressortir un charme piquant, élégant, aussi inattendu qu’intéressant. «O cruel souvenir» déploration de Catherine d’Aragon (Henri VIII de Camille Saint-Saëns) révèle une envergure de phrasé que l’on rêve d’entendre plus souvent. A l’opposé, l’air d’entrée «Enfin, je suis ici...» extrait de Cendrillon de Massenet, créé par Julia Guiraudon, soprano «de pur cristal»,  prouve que la cantatrice est parvenue à conserver des aigus amenés avec habileté. Enfin, au-delà de ses capacités de métamorphoses, la musicienne déploie ici un art français du chant d’un style irréprochable, fait d’élégance, d’ampleur et de clarté qui rend hommage à la splendeur de cette musique. On sent qu’elle aime ces pages du grand opéra français et qu’elle veut les faire aimer, en osmose avec l’orchestre vivant, coloré, conduit avec brio par Jean-François Verdier.

Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation  10

Bénédicte Palaux Simonnet

 

 

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