Krzysztof Penderecki: "J'ai encore beaucoup de choses à dire"

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A l'aube de son 80e anniversaire, Krzysztof Penderecki est fêté sur tous les plans. Après un « Lifetime Achivement » aux International Classical Music Award (ICMA) et au Festival d'Istanbul, le compositeur polonais a reçu le titre de Citoyen d'Honneur de la Ville de Cracovie, titre accordé à de hautes personnalités politiques et culturelles du monde entier. Du 18 au 24 novembre, jour de son anniversaire, une semaine entière lui sera consacrée à Varsovie. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
En attendant, retrouvons ici les propos qu'il partageait en mai 2012, dans le cadre de la remise des prix des ICMA à Nantes.

- Quelle impression cela vous fait-il de recevoir le « Lifetime Achievement Award » des ICMA?
Il m'honore et j'en suis heureux, mais je suis convaincu que je dois encore dire beaucoup plus que ce que j'ai dit jusqu'à présent.

- Comment se passe votre journée de compositeur ?
Mon travail consiste à créer du nouveau à partir du nouveau, il n'est jamais fini. Je travaille tous les jours -debout à six heures du matin- et chaque journée consiste à poursuivre ce que je n'ai pas fini la veille. Je travaille toujours en même temps sur trois ou quatre partitions. Travailler sur une seule pièce est ennuyeux. La musique de chambre est devenue pour moi de plus en plus importante. Bien sûr, il y a des partitions sur lesquelles je travaille très longtemps: le « Requiem polonais » n'a été complètement terminé qu'après 25 ans. La « Serenade » que j'ai composée en 1990 et 1991 compte deux mouvements dans sa forme actuelle, mais je ne la crois pas tout à fait terminée. J'ai fais des esquisses pour une valse, mais je pense aussi à un scherzo et un tango.

- La « Serenade » aura finalement cinq mouvements ?
Oui, je pense bien...

- Un « Lifetime Achievement Award, c'est aussi l'occasion de revenir sur le passé. De toutes vos oeuvres, lesquelles vous semblent les plus importantes ?
Cette question, je l'entends souvent quand on m'interroge sur mon arboretum. Dans mon parc, j'ai une grande collection d'arbres : 1.700 espèces différentes sur 30 hectares de terrain. Si vous me demandez quel arbre est pour moi le plus important, je suis incapable de vous répondre. C'est la même chose pour ma musique. Il y a bien sûr des œuvres qui ont marqué ma carrière -je pense à « Thrène à la mémoire des victimes d'Hiroshima » (1960) ou la « Passion selon St. Luc » (1965/66)- mais j'y ajouterais d'autres oeuvres.

- Qu'est-ce qui vous a décidé à abandonner la voie de l'avant-garde radicale ?
L'avant-garde n'existe plus depuis 50 ans ! « Avant-garde » signifie faire quelque chose de vraiment nouveau, ce que j'ai fait de la fin des années cinquante au début des années soixante. Mais aujourd'hui, personne n'écrit quelque chose de vraiment nouveau. Le temps de l' avant-garde radicale a été de très courte durée. Il n'y avait pas d'avenir pour cette musique. Je ne pense pas écrire aujourd'hui une musique très différente de ce que j'ai fait auparavant. La forme a changé, la notation a changé, les pièces sont plus approfondies ; mes premiers travaux étaient très courts, ils ne pouvaient être plus longs car il y avait une frontière naturelle dans la création avant-gardiste.

Penderecki_3- A propos de « Serenade » vous disiez la reprendre plus de vingt années plus tard, y ajouter d'autres parties. C'est tout à fait inhabituel... Comment cela se passe-t-il ?
Je ne me souviens pas des numéros de téléphone, souvent je ne me souviens pas des noms, mais je me souviens toujours de chaque note que j'ai écrite. Par conséquent, le retour à un travail ancien ne me pose aucun problème, même s'il y a vingt ans d'écart. Je peux aussi stylistiquement construire là où je m'étais arrêté il y a quelques années. Parfois, je réalise aussi des esquisses pour une musique que j'utiliserai des années plus tard. C'est ainsi le cas pour ma Sixième Symphonie. J'ai composé maintenant huit symphonies. La sixième existe jusqu'ici à l'état d'esquisse. Un jour, je la finirai. Probablement avant d'écrire la neuvième, sans doute la dernière. Il n'est pas nécessaire de composer plus de neuf symphonies. Neuf, c'est une bonne tradition...

- Y a-t-il des moments où vous pensez perdre l'inspiration?
Cela arrive tous les jours. Chaque jour est un combat. Je me bats encore avec ce que j'ai écrit les jours précédents. J'essaie de formuler d'autres propositions. Il y a une lutte permanente pour la musique. Une semaine plus tard, il se peut que j'essaie une autre version...

- Quel est le moment le plus important pour vous? Celui ou vous écrivez la dernière note d'une composition, ou le jour où vous l'entendez pour la première fois ?
Je n'ai pas besoin de l'entendre en concert. Je peux exactement tout prévoir intérieurement. Je n'ai jamais changé quoi que ce soit suite à l'écoute d'une pièce. Il y aura tout au plus un ajout.

Penderecki_2- Que se passe-t-il en vous lorsqu'un autre chef dirige votre oeuvre ?
Cela dépend de la période. S'il s'agit d'une musique des années '50 ou début des années '60, j'ai des discussions avec le chef d'orchestre. Je me souviens d' une exécution de « De Natura Sonoris II » à la Juilliard School. Quand je suis arrivé à New York, l'orchestre était déjà à sa deuxième ou troisième répétition avec un chef âgé qui réalisait vraiment tout très mal et le rythme était complètement modifié. Je lui ai donné quelques suggestions, mais il ne voulait pas -ou ne pouvait pas- les mettre en œuvre. Alors je lui ai enlevé la partition et je suis rentré chez moi. En Amérique latine, j'ai un jour entendu mon « Threnody » que je ne reconnaissais pas. C'était complètement défiguré. Il y a aussi eu des circonstances où l'orchestre refusait de jouer ma musique. Sans doute parce qu'il ne voulait pas apprendre de nouvelles choses, mais ils ont simplement dit qu'ils craignaient de casser leurs instruments ! Cela s'est passé à l'Opéra d'État de Bavière, à Stockholm et à la RAI de Rome. Je reconnais que ces pièces des années '50 et début '60 restent extrêmement difficiles et si l'une d'elles fait partie d'un programme, j'ai besoin de plus de temps de répétition. Mais je vois aussi que ces oeuvres sont maintenant de plus en plus jouées et elles sont appréciées par de plus en plus de gens, y compris des jeunes. Tout cela est mieux compris aujourd'hui qu'à l'époque où elles ont été créées.
- Outre les sept symphonies, « Les Sept Portes de Jérusalem », est l'une de vos œuvres les plus populaires. Comment expliquez-vous ce succès?
C'est une musique très directe, très claire du point de vue mélodique, qui parle directement à l'auditoire comme le font les « Carmina Burana », bien que « Les Sept Portes » soit une oeuvre beaucoup plus complexe.

- La musique de chambre est devenue très importante pour vous. Pouvons-nous nous attendre à une nouvelle grande oeuvre vocale ?
Oui ! J'ai des projets que je veux vraiment réaliser ! Si je pouvais vivre être 200 ans... ! Mais avant, je veux écrire une deuxième passion, une Passion selon saint Jean. J'ai déjà le texte et composé quelques parties...

- Quel rôle joue votre passions des arbres dans votre musique ?
Depuis que je suis enfant, je m'intéresse à la nature. Mon grand-père était garde-forestier et il m'a appris les noms de tous les arbres en latin. Pendant mes études, j'ai un peu perdu ce contact avec la nature. Ensuite, il y a eu mes premiers succès et de nombreux voyages. Finalement, j'ai réussi à acheter un grand terrain, qui s'est d'ailleurs agrandi de plus en plus. Je me suis plongé dans la littérature sur les arbres ; j'ai appris tout ce dont vous avez besoin pour planter un arboretum. La forme du parc a été pensée avec soin, il a été construit selon un plan précis qui prend en compte le développement de chaque arbre. C'est comme une partition musicale. Si vous écrivez une note ou une phrase, vous devez savoir comment elles vont agir sur l'ensemble. Aujourd'hui, le parc est comme une symphonie inachevée. Je suis toujours prêt à acheter des arbres dans d'autres pays. Je me sens comme le collectionneur de timbres qui cherche à compléter sa collection autant qu'il est possible.

- Votre parc est-il accessible au public?
Pas encore mais c'est prévu. En face du parc, nous construisons un centre international de musique* avec une salle de concert pour 800 personnes et un hôtel. Lorsque tout sera terminé, le parc sera mis à disposition du public.
Nantes, mai 2012

*Le « Krzysztof Penderecki centre européen de musique » à Lusławice (70 km au nord de Cracovie ) a pour but de promouvoir la maturité artistique des musiciens les plus talentueux venus de partout dans le monde, et de développer leurs compétences. Il réunira des musiciens et des professeurs de pointe, en particulier les experts dans l'art de l'interprétation, et de grands compositeurs. Dans les étroites relations enseignant-élève, les participants devront disposer desvaleurs spirituelles importantes dans la tradition de l'Europe centrale.

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