La 2e édition du Festival Pianopolis captive les Angevins

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Concocté par une équipe soudée autour du musicologue Nicolas Dufetel et du pianiste Alexandre Kantorow, respectivement adjoint à la culture et au patrimoine de la ville et directeur artistique, le Festival pianopolis est devenu, à seulement sa deuxième édition, un rendez-vous incontournable de la vie cultuelle à Angers. Du 8 au 12 mai dernier, les pierres plusieurs centenaires avaient fait résonner les sons de musiques très variées, ouvrant à un public large des occasions de se retrouver pendant le long week-end de l’ascension.

Ambiance festive

Non loin du Château d’Angers — où l’âme du Roi René nous veille à travers la teinture d’Apocalypse, classée dans le registre international Mémoire du Monde par l’UNESCO —, le Jardin du Musée Jean-Luçat est particulièrement animé le temps d’un week-end. Sur la scène construite à l’occasion, le jeune pianiste Raphaël Collard propose quatre Ballades de Chopin. Le pianiste de 18 ans réussit à séduire l’audience malgré les conditions de plein air peu propice pour nuancer toutes les subtilités des compositions du Polonais. À deux pas de là, de l’autre côté de l’ancien cloître, un autre piano attire des amateurs. Des élèves du conservatoire à rayonnement régional ainsi que des amateurs se succèdent du matin au soir. Du jazz à la musique classique, en solo et à quatre mains, chacun apprécie l’écoute et le partage. La convivialité est le mot d’ordre de cet espace, renforcée avec plusieurs food trucks (camion cuisine mobile) proposant des plats fait maison.

Après-midi intense

Le principe du festival étant l’immersion totale dans un bain musical, on peut entendre en pleine journée des concerts de haute volée, tels qu’ils sont habituellement proposés le soir. Le samedi 11, Paul Lay rend hommage à Gershwin pour les 100 ans du Rhapsodie in blue avec des improvisations, puis, l’italo-néerlandaise Saskia Giorgini consacre son récital au piano romantique avec des œuvres de Chopin, Liszt et surtout de Rachmaninov où ses idées musicales s’épanouissent de plus belle. Le dimanche 12 mai dès 9 heures, Lucas Debargue offre une matinée de musique de chambre avec Matthieu Handtschoewercker et Justine Pierre, musiciens de l’Orchestre national du Pays de la Loire. Après le Nocturne de Schubert (hanté par Beethoven décédé depuis peu) et le Trio « des Esprits » de Beethoven, Lucas Debargue dialogue, dans son Trio avec piano écrit « comme un triple concerto », avec des esprits de grands compositeurs : Franck, Wagner, Saint-Saëns, ou encore Chausson, et Beethoven bien sûr. De nombreux mélomanes découvrent avec Jean-Paul Gasparian la Grande Sonate op. 37 de Tchaïkovsky, une œuvre monumentale et robuste en contraste saisissant avec le premier Livre des Préludes de Debussy donné en première partie.

Concerts du soir

Mais les meilleurs du festival arrivent dans la soirée. Le duo Thomas Enhco (piano) et Vassilena Serafimova (marimba) ouvrent le bal avec le programme « Bach Mirror » où leurs idées inventives citent, fragmentent, dissèquent, transforment la musique de Bach, toujours avec respect. La cantate Herz und Mund und Tat und Leben BWV 147, dont la célèbre Jésus que ma joie demeure, Partita pour violon en si mineur BWV 1002, Préludes n° 1 et 2 du Clavier bien tempéré (Livre I), « Air sur la corde de sol » de la Suite pour orchestre n° 3, pour n’en citer que les plus célèbres, montrent des facettes totalement différentes, tantôt délicates, tantôt dynamiques, tantôt parfois humoristiques, toujours avec une part d’improvisation. Bach, qui s’était essayé à toutes les possibilités musicales, et qui fut lui-même un grand transcripteur et improvisateur, aurait apprécié ces transcriptions ingénieuses qui s’amusent avec autant de variations de sonorité, de motifs et de techniques !

La soirée du samedi 11 était inoubliable : la chanteuse canadienne Kyrie Kristmanson à la voix si particulière et le Trio SR9 (Paul Changarnier, Nicolas Cousin, Alexandre Esperet) qui explore tous les claviers à frapper (marimba, vibraphone, glockenspiel…), créent un univers envoûtant et unique. Leur programme, entièrement consacré aux compositrices, ne se situe pas sur un simple courant actuel de valorisation des femmes musiciennes ; il est traversé par une véritable idée musicale, comme une invitation personnelle à leur propre histoire. Ils admirent et louent Pauline Viardot, Barbara Strozzi, Rebecca Clarke, Hildegard von Bingen ou Barbara mais aussi ils chuchotent aux oreilles de Lili Boulanger et Hariette Abrams et adulent Kate Bush et Elizabeth Maconchy. Sur une chanson profane du XIIe siècle (la première en langue occitane) de Béatrice de Savoie, les musiciens nous régalent avec une percussion corporelle merveilleusement réglée comme un ballet. La polyvalence des musiciens du Trio et la voix à la fois céleste et étrange, voir fantomatique (mais sympathique) de Kyrie Kristmanson se marient dans une perfection si indéfinissable et si étrange, que personne n’est sorti indemne de cette soirée ensorcelante.

Pour le concert final, le directeur artistique Alexandre Kantorow cède d’abord la scène à son « grand frère » Lucas Debargue, pour Thème et variations de Fauré, la Sonate « Clair de Lune » de Beethoven et le Ballade n° 3 de Chopin. Dans Fauré, il excelle notamment dans la délicatesse du toucher des variations introspectives, comme les 6e et 11e où l’ombre de Schumann (Etudes symphoniques) est très présente. Dans la sonate « Clair de lune », le mouvement initial est très lent, contrairement au final très rapide. Entre les deux, le mouvement intermédiaire est joué le plus simplement possible. C’est comme si Debargue voulait montrer à travers ces trois mouvements une transformation, une sorte de métamorphose, de la gestation à l’envol… Dans Chopin, il insiste sur la seconde voir la troisième voix, souvent à la main gauche, que l’on n’entend pas habituellement, alors qu’à la main droite, des notes rapides sont de véritables étincelles qui fusent en flèche. Le pianiste souligne naturellement la beauté du thème, en interprétant comme un air de bel canto, que Chopin adorait écouter.

La deuxième partie, à deux pianos, est une vraie régale. Les évocations colorées des Nocturnes de Debussy sont si palpables qu’on croirait voir des images défilées comme dans un film. Sans insister particulièrement sur les couleurs instrumentales de la version symphonique originelle, les deux musiciens proposent une palette sonore extrêmement riche. Si leurs « Nuages » sont plutôt lumineux, l’animation des « Fêtes » est vivifiante ; la texture sonore des « Sirènes » rend bien le caractère à la fois ferme et doux des voix de la partition orchestrale. Quant à la Suite n° 1 op. 5 de Rachmaninov, du thème nostalgique du « Barcarole » jusqu’au retentissement des cloches des « Pâcques » russes, les deux pianos sont luxuriants et foisonnants. Le premier mouvement est touffu, et les rossignols de « La nuit… L’amour » chantent de belles voix dans les broussailles. Les « Larmes » dans le rêve en prolongement du deuxième mouvement, sont introverties et flottantes dans une tension qui pourrait se rompre à tout moment. Et les cloches finales, si exubérantes, résonnent dans la tête pour tout le reste de la journée ! Après ce beau moment, le bis est un symbole de l’ambiance amicale et conviviale du festival : Lucas Debargue propose un pastiche de « Scarbo » de Gaspard de la nuit (Ravel) et la 2e sonate de Brahms (1er mouvement), les deux pièces emblématiques que les deux pianistes ont présentés lors de leurs épreuves respectives au Concours Tchaïkovski de Moscou, en 2015 pour Debargue et en 2019 pour Kantorow. Un pastiche qui superpose ces deux pièces dans des effets grandioses… C’est une blague musicale démesurée, pour rire à gorge déployée et peut-être pour se moquer de leur métier : tout n’est pas à prendre toujours au sérieux !

Concerts du 10 au 12 mai, Greniers Saint-Jean et église de la Trinité à Angers

Victoria Okada

photos © Jérémy Fiori - Ville d’Angers 

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