Rencontre avec Elodie Vignon, Falla et Fauré en songes
La pianiste Elodie Vignon fait paraître un album (Cyprès) qui propose Nuit dans les jardins d’Espagne de Manuel de Falla à la Ballade pour piano de Gabriel Fauré. Ce double regard concertant est inusité. Crescendo Magazine s’entretient avec cette musicienne qui construit une discographie des plus intelligentes artistiquement et éditorialement.
Votre nouvel album, le premier avec orchestre, confronte Manuel de Falla avec les Nuits dans les jardins d’Espagne avec la rare Ballade pour piano et orchestre de Gabriel Fauré et il porte le titre de “Songes”. Pourquoi un tel titre ?
Pour ce projet en partenariat avec Eric Lederhandler, et les Czech Virtuosi qu’il dirige depuis plus de 20 ans, nous cherchions d’abord une pièce maîtresse qui fasse la part belle au piano sans délaisser l’orchestre. Dans notre répertoire de prédilection, le Falla s’est vite imposé. En miroir avec la si poétique Ballade de Gabriel Fauré, dont nous fêtons cette année le centenaire de la mort, nous établissions un lien par l’idée d’un voyage intérieur, à travers différentes contrées européennes à l’aube de la modernité, avec un clin d'œil à Shakespeare.
Quand on pense à Manuel de Falla, on pense naturellement à Ravel, mais pas foncièrement à Gabriel Fauré. Pourquoi avoir associé ces deux œuvres ?
Justement peut-être pour dévier de ce qui est attendu comme association:) Dans la mesure où le pianiste espagnol Joachim Achúcarro rapporte cette légende qui dit à propos des Nuits dans les Jardins d’Espagne que le corps en est espagnol, mais que la robe en est française, un rapprochement avec une pièce française est tout naturel.
La Ballade de Fauré est une trop grande rareté au concert et au disque. Quelles sont les qualités musicales de cette partition ? Pensez-vous qu'elle sera un jour un grand classique du répertoire ?
Je partage votre avis, mais c’est une pièce délicate à maints égards. Fauré l’a d’abord écrite pour piano seul, et c’est sur les conseils de Franz Liszt, rencontré à Weimar en 1882 par l’intermédiaire de leur ami commune Camille Saint Saëns, que Fauré en crée une version orchestrale. La pièce foisonne d’idées rêveuses et de mélodies harmonisées comme seul Fauré sait le faire, dans les méandres de la tendresse et de l’étreinte: une sorte de poème d’amour.
Comment avez-vous découvert cette partition de Fauré au point de décider de l’enregistrer ?
J’ai toujours eu une fascination pour Gabriel Fauré, qui est plus souvent laissé de côté que ses contemporains. C’est un compositeur des contraires, à la fois souple et raide, transparent et confus, lisse et abrupte, qui n’est pas facile à défendre car l’interprète est toujours dans un entre-deux. Au concert, c’est aussi un défi de le jouer, que l’on pourrait qualifier d’exercice d’équilibriste, difficile à saisir …un indomptable!
Revenons à Manuel de Falla et à ses Nuits dans les jardins d’Espagne, c’est une œuvre marquée par tant de grandes interprétations d’Arthur Rubinstein à Martha Argerich en passant par Alicia de Larrocha. Comment avez-vous préparé cet enregistrement ? Est-ce que vous avez écouté d’autres interprétations ?
J’ai découvert cette pièce en profondeur il y a quelques années, mais une fois passée le coup de foudre, je n’écoute pas énormément d’interprétations lors de ma préparation. Cela m’aide à chercher un maximum de choses dans la partition et non dans ce que les autres pianistes en ont saisi. J’écoute en revanche d’autres pièces du compositeur et du répertoire en lien avec ce que je dois enregistrer. Dans ce cas précis, j’ai écouté beaucoup de guitare flamenco ancienne et contemporaine!
Votre parcours discographique semble avoir comme fil conducteur une sensibilité latine : française (Debussy, Dutilleux, Milhaud) mais aussi hispanisante (Albeniz, de Falla, Ginastera). Est-ce volontaire ou est-ce le hasard des rencontres ou des opportunités ?
Mon centre de gravité est Claude Debussy, d’où je suis partie et à qui je reviens toujours. Donc ceux qui l’ont inspiré, côtoyé, précédé ou succédé m’intéressent, d’où le fil latin que vous relevez.
Avez-vous déjà un prochain projet dans les tuyaux ?
« Centre de gravité » vous disais-je? En février 2025, je sortirai pour Cyprès, ma famille-label, le premier volet d’une intégrale Claude Debussy, que j’espère découper en trois volumes. Rendez-vous donc à Flagey pendant les Piano Days 25 pour le premier double album!
Le site d'Elodie Vignon : https://elodievignon.com/
A écouter :
Songes - Elodie Vignon. Czech Virtuosi, Eric Lederhandler. CYPRÈS. CYP1685
Crédits photographiques : India Lange
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot