La fine table du Petit Trianon autour du Concerto et des Sonates pour flûte de Buffardin
Pierre-Gabriel Buffardin (1693-1768) : Sonates no 1 en sol mineur, no 2 en ré majeur, no 3 en sol majeur, no 4 en mi mineur, no 5 en la majeur, no 6 en si mineur, Concerto en mi mineur. Le Petit Trianon. Olivier Riehl, flûte. Xavier Marquis, basson. Amandine Solano, Vanessa Monteventi, violon. Jeanne Mathieu, alto. Cyril Poulet, violoncelle. Sarah Van Oudenhove, violone. Jean-Luc Ho, clavecin. Novembre 2020. Livret en anglais, français, allemand. TT 75’31. Ricercar RIC 428
Facteur, compositeur, pédagogue et surtout virtuose réputé, attaché à la Cour de Saxe pendant plus de trois décennies et grassement rétribué pour son service : toute la carrière de Buffardin gravite autour de son instrument de prédilection. La flûte dont il fut un des grands représentants à l’ère baroque, avant sa retraite à Paris où d’évidence il vécut confortablement de ses rentes ; il n’avait pas soixante ans lors de son dernier concert à Versailles en 1750 !
On lui reconnaît peu d’œuvres hormis le ravissant Concerto en mi mineur, popularisé au disque depuis Jean-Pierre Rampal (Erato, 1958), Wilbert Hazelzet (Archiv Produktion, juin 1982) et Eckart Haupt (Eterna, mai 1986), au point qu’on se surprend au premier abord qu’un plein album lui soit consacré. Le programme inclut des Sonates éditées en 1737, dont une copie est conservée à la Bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles, inventoriées en 1985 par Frans Vester, et attribuées à Buffardin sur la foi d’une mention « Mr B.*** ». Une paternité que cautionne un monogramme figurant sur une partition du Concerto conservé à la Landesbibliothek de Dresde, celui en mi mineur (et non fa mineur comme indiqué par erreur de traduction en page 15 du livret). Malgré l’expertise de cette notice (évoquant la toute récente redécouverte à Rostock voilà quelques mois d’une copie de Sonate en trio), on aurait apprécié une meilleure précision des sources dans le tracklisting pages 4-5.
L’on aurait aussi aimé en savoir davantage sur l’arrangement que le Petit Trianon accorde à deux Sonates (mi mineur et la majeur), enrichies par des lignes supplémentaires dans une optique concertante. Quitte inévitablement à y occulter la préséance soliste par un violon décoratif (Sonate IV) et un accompagnement trop inventif pour ne pas lui voler la vedette. Certes on ne boudera pas son plaisir, ainsi dans l’Allegro de la Sonate en la majeur qui invite tout un théâtre d’Arlequin. Cette propension mignarde fleurit aussi l’Andante du Concerto, riche d’arrière-plans, où peut pourtant suffire le parfum lyrique. Certes Buffardin était renommé pour sa célérité mais l’on se demande si l’Allegro non molto ne se brûle les ailes quand comme ici il apparaît tel un papillon affolé, fuyant les calices nourriciers au lieu de s’y abreuver. On peut apprécier cette impétuosité ou lui préférer l’animation d’un Frank Theuns (Accent, octobre 2014) ou encore la netteté rythmique inculquée par Reinhard Goebel (Archiv).
On saluera en tout cas le nuancier d’Olivier Riehl, en quête de couleurs subtiles et étudiées, toujours sensibles : on s’en convaincra dans les teintes givrées de l’Adagio de la Sonate en si mineur, dans le sobre fumet qui s’exhale de l’Andante et le Largo de la Sonate III délicatement saucé par le clavecin de Jean-Luc Ho, ou encore le tendre duo avec le basson de Xavier Marquis dans le Larghetto de la Sonate I. Après ses remarquables CDs consacrés à Boismortier (2015) et Devienne (2019), l’équipe du Petit Trianon nous sert un portrait de Buffardin dénué de toute arrogance mais qui compte séduire par son imagination et sa table sans lourdeur, répondant aux vœux d’un célèbre gastronome, celle d’une fine gourmandise ennemie des excès.
Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 9
Christophe Steyne