Raphaël Pichon et l’ensemble Pygmalion passent leur Bach avec mention

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Matthäus-Passion, BWV 244.  Julian Pregardien, Sabine Devieilhe, Lucile Richardot, Reinoud van Mechelen, Stéphane Degout, Hana Blazikova, Tim Mead, Maîtrise de Radio France, Pygmalion, Raphaël Pichon. 2021. Livret en anglais, allemand et français. 3 CD Harmonia  Mundi. 90269193


Alors que le triduum pascal approche à grand pas, Raphaël Pichon et l’excellent label Harmonia Mundi sortent opportunément une nouvelle Passion selon Saint Matthieu. A l’image du traditionnel Disney lors des fêtes de Noël, chaque année à l’approche du Printemps nous avons le droit à notre lot de relectures de ce qui est sûrement le drame musical sacré par excellence. Au final, cela offre à l’auditeur une discographie abondante perlée de merveilles : Leonhardt, Harnoncourt, Herreweghe I et II, Rattle… la liste serait longue… on ne sait plus où donner de la tête et cela pour notre plus grand bonheur ! 

Après les Motets, une série de Messes Brèves et la fameuse Messe en si, quoi de plus normal pour Pichon et l’ensemble Pygmalion que de se lancer dans une Passion ? A l’image de l’alpiniste italien Reinhold Meissner lancé au milieu des années 70/80 dans une conquête des quatorze sommets de plus de 8000 mètres, Pichon se devait de poursuivre son ascension de l’œuvre du grand Jean-Sebastien par la face nord. 

Au regard des précédents exploits du jeune chef, cette parution était forcément attendue avec impatience. Chaque domaine, chaque sportif, chaque artiste a son « prime » comme disent les jeunes, Pichon est en plein dedans, cela ne fait aucun doute. D’autant que ce projet a pu se déployer dans la durée malgré la pandémie. On trouve aisément des captations des concerts de cette Matthieu. Cela fait toute la différence. Si l’on procède un jour à l’autopsie de ce succès, on se rendra vite compte qu’il n’y avait pas de place pour le hasard et que tout n’est que talent et préparation minutieuse. C’est aussi l’aboutissement d’une collaboration fructueuse de près de 15 ans entre Pichon et Pygmalion. 

Pour réussir, il faut souvent s’avoir s’entourer des meilleurs. Cela ne marche pas toujours…mais ici Pichon réalise ce que Mauricio Pochettino n’arrive pas à faire avec Messi & co au PSG… une équipe qui gagne ensemble. Entouré de Julian Pregardien, Sabine Devieilhe, Lucile Richardot, Tim Mead et Stéphane Degout et j’en passe. Le chef imprime sa marque et son style au sein d’un collectif bien huilé. Personne ne semble tirer la couverture à soi, le résultat prime avant tout. 

Ici point de Bach décharné, désincarné sur l’autel de je ne sais quel véganisme ou wokisme musical. Tout n’est qu’intériorité et humilité. Cette vision fait écho aux événements qu’elle relate. La Passion est avant tout l’histoire d’un Dieu qui s’est fait homme pour en partager la condition. C’est l’histoire de sa montée au supplice, des trahisons et de la souffrance qui jalonnent celle-ci. Jésus encaisse non pas par faiblesse mais parce qu’il sait que c’est le seul chemin vers la résurrection et la réparation des fautes de l’humanité. C’est un Dieu martyrisé et cloué sur une croix que nous donne à entendre Bach. Bravo à Raphaël Pichon car au-delà de la beauté sonore et de la performance d’ensemble, c’est criant de vérité. Rarement une Passion aura résonné en nous avec autant d’humanité loin de certaines versions en CinémaScope. Certains esprits étriqués ou adeptes du surplace diront que ce n’est ni fait ni à faire. Que tout n’est que confusion. Qui est soliste ? Où est le chœur ? 

Pour répondre nous pensons aux mots de Bach lui-même : « Le but de la musique devrait n'être que la gloire de Dieu et le délassement des âmes. Si l'on ne tient pas compte de cela, il ne s'agit plus de musique mais de nasillements et beuglements diaboliques. ». Tout est dit et tout est là avec Pichon, Soli Deo Gloria

Nous pourrions aussi nous lancer dans un compte rendu pas à pas mais dans ce cas il faudrait prévenir votre famille d’annuler votre prochain petit-déjeuner car il y aurait tant à dire. Nous préférons mettre l’accent sur les émotions et la prestation des différents protagonistes qui est bluffante. 

Que dire de Julian Prégardien ? Sûrement l’évangéliste des prochaines décennies. Il participe grandement, grâce à sa théâtralité retenue, à la recherche d’infériorité de l’auditeur et nous l’en remercions pour cela. Il a été un précieux compagnon de route à chacune de nos nombreuses écoutes. 

Stéphane Degout est un Jésus apprécié car il est accessible. C’est un Christ rédempteur et universel. Nous sommes en confiance avec lui et à côté de lui. 

Sabine Devieilhe, Lucile Richardot et Tim Mead participent pleinement à cette réussite totale mais comment détacher quelqu’un de ce qui est surtout un chef d’œuvre d’équipe ? 

Pour conclure, mettons cette version en perspective avec ses devancières. Elle ne bouleverse pas l’ordre établi car les pionniers Herreweghe ou Harnoncourt sont et seront sûrement au sommet de notre Mont Olympe pour longtemps. Mais dans un style qui lui est propre et de son temps, nul doute que nous tenons ici la référence de ces dernières années. Comme toujours avec Harmonia Mundi, c’est également un bel objet, ce qui ne gâche rien ! 

Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Bertrand Balmitgère 

 

 

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