La Folle Journée 2025 : une édition triomphale
Une mobilisation sans faille pour un festival incontournable
La 31e édition de La Folle Journée de Nantes s’est achevée le 2 février avec un succès retentissant. Sur 140 000 billets mis en vente, 135 000 ont trouvé preneur, confirmant l’attachement du public à cet événement annuel. L’annonce brutale, quelques semaines auparavant, d’une baisse de 70 % des subventions culturelles dans la région Pays de la Loire n’a fait que renforcer cette mobilisation.
Avec plus de 300 concerts répartis sur cinq jours, près de 2 000 artistes issus des cinq continents et un répertoire de plus de 1 800 œuvres, l’organisation de l'événement force le respect. Malgré les difficultés que traverse le milieu culturel, cette fête bien ancrée dans le paysage nantais a su maintenir son élan. Comme l’a affirmé son fondateur et directeur artistique, René Martin, lors de la conférence de presse du dimanche 2 février : « La Cité (des Congrès de Nantes) est un vaisseau qui sait s’adapter. De la Covid, on s’en est sorti, on s’en sortira donc cette fois-ci. » Une conviction qui, sans doute, fait la force et la résilience de l'événement.
Sophia Liu, jeune prodige du clavier
La Folle Journée s’est imposée comme un tremplin pour les jeunes artistes, notamment les pianistes. Il y a plus de dix ans, Alexandre Kantorow faisait ses débuts avec orchestre sur la grande scène de la Cité des Congrès. Cette année, c’est Sophia Liu, une Canadienne de 16 ans elle aussi, qui a marqué les esprits par ses interprétations magistrales. Récemment produite à la Fondation Louis Vuitton, cette élève de Dang Thai Son est un véritable phénomène. Son programme – les Troisième et Quatrième Impromptus de Schubert, Andante Spianato et Grande Polonaise Brillante et les Variations sur "Là ci darem la mano" de Chopin – ne semblait pas, de prime abord, révéler une singularité particulière. Pourtant, dès qu’elle pose les mains sur le clavier, elle captive par une musicalité fluide et naturelle. Son talent réside aussi dans les subtiles surprises qu’elle introduit, jouant en forte là où personne ne l’attend, et ce, sans la moindre extravagance. Dans Chopin, sa personnalité musicale s’affirme pleinement. L'équilibre qu’elle confère à Andante Spianato et Grande Polonaise Brillante – une œuvre où les motifs répétitifs peuvent parfois nuire à la structure – est remarquable. La pièce, souvent plate sous des doigts moins inspirés, se révèle pleine de nuances et de relief. Dans les Variations sur « Là ci darem la mano », elle offre un véritable bel canto pianistique, avec une vocalité si prégnante qu’on croirait entendre les respirations d’un chanteur. L’atmosphère théâtrale de l’opéra se dessine naturellement, avec des jeux d’ombre et de lumière presque visuels. Au fil des variations, elle fait surgir les différents personnages de Don Giovanni avec une éloquence saisissante. Une telle maîtrise sans une virtuosité gratuite est rare, surtout à son âge. Son avenir s’annonce des plus prometteurs.
Beaux claviers
La Folle Journée, toujours fidèle à son engagement envers l'excellence, a mis en lumière cette année encore des talents exceptionnels au clavier. Adam Laloum, dont le nom est synonyme de profondeur et de sensibilité, a fasciné son public avec deux œuvres majeures de Schumann, dans le cadre de la thématique « Leipzig 1838" » : Kreisleriana et la Novellette op. 21 n° 8. Si Kreisleriana est un terrain familier pour de nombreux pianistes, peu s’attaquent aux Novellettes. De cette œuvre qui s’étale sur une cinquantaine de minutes, pleine de contrastes et d'émotions, il a choisi la huitième et dernière, la plus ample, qui partage avec Kreisleriana une certaine similitude d’esprit. L’exécution de Laloum, le samedi 1er février à 11h15, a transcendé l’heure matinale, et son interprétation immersive du répertoire romantique allemand a transporté les spectateurs dans un autre monde, riche en nuances et en poésie.
Dans un autre registre, l’accordéoniste Julien Beautemps a prouvé que son instrument pouvait s’épanouir dans une grande variété de genres. Le 2 février, il a offert un récital où l'accordéon se faisait tantôt orgue, tantôt orchestre symphonique, tantôt voix chorale. Il a interprété des pièces de Bach, Schulhoff et Mozart, avec une originalité qui lui est propre, notamment dans sa version des Tableaux d’une exposition de Moussorgski. En y introduisant des chants d’oiseaux qu’il a lui-même imités, Beautemps a renforcé la dimension picturale de cette œuvre, transformant ainsi chaque tableau en une scène vivante, presque palpable.
Enfin, Jean-Baptiste Doulcet a livré des improvisations inspirées de ses voyages à travers le monde, de Nantes à New York en passant par Tokyo et Londres. Cette performance, véritable patchwork musical, a mêlé des extraits de chefs-d’œuvre classiques transformés et des compositions originales, créant un dialogue fascinant entre différentes cultures et époques. Avant de commencer, il a averti le public qu’il n’avait aucun plan précis, ajoutant une touche de spontanéité qui a rendu chaque moment du concert encore plus captivant.

Ensembles et cordes
Les ensembles et les instruments à cordes offrent de quoi satisfaire tous les goûts.
Le concert de la violoncelliste Hanna Salzenstein présente est en rapport avec son deuxième album solo, Concerti per violoncello. Avec ses camarades du Consort, elle retrace l’effervescence entourant l’essor du violoncelle au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles. Élan et fougue alternent avec douceur et intériorité, dans un jeu où chaque nuance compte.
Le même Consort, dans un effectif élargi, accompagne le violoniste Théotime Langlois de Swarte dans Les Quatre Saisons de Vivaldi. L’interprétation, pleine de fraîcheur, dessine des mouvements organiques, à l’image d’arbustes se balançant au vent. Inspirée et inspirante, cette version est aussi un véritable plaisir visuel.
Les cordes modernes brillent également lors de cette édition. Le Quatuor Elmire interprète le Premier Quatuor « Razumovsky » de Beethoven, précédé d’une lecture du Testament de Heiligenstadt. Ce préambule confère à l’exécution une acuité et une profondeur supplémentaires, soulignant la détresse et la détermination du compositeur face à sa surdité naissante. Le Trio Zeliha, quant à lui, propose une rareté : la Symphonie n° 5 de Beethoven dans un arrangement pour trio avec piano réalisé par Colin Matthews pour Yo-Yo Ma, Leonidas Kavakos et Emanuel Ax. Si la dimension orchestrale est diminuée, tous les éléments essentiels sont là, permettant de faire vivre la splendeur de ce chef-d’œuvre.
Un festival tourné vers l’avenir
Tant d’autres merveilles ont ému le public et ont créé des instants de magie tout au long de cette édition. Mais l’aventure ne s’arrête pas là. La Folle Journée reviendra du 28 janvier au 1er février prochain sous la thématique des fleuves. Une promesse de nouvelles découvertes et d’émotions musicales intenses.
Concerts du 31 janvier au 2 février 2025, à la Cité des Congrès de Nantes.
Crédits photographiques © Mickaël Liblin, Christo Bee