La musique classique chinoise

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S’il est un domaine de la musique du vingtième siècle mal connu en Occident, c'est bien celui de la musique chinoise. Un nombre important de mélomanes s'était dès lors rassemblé à l'Académie Royale des Beaux-Arts pour assister à un exposé de Jean-Marie André sur ce sujet original. Eminent chimiste, cet académicien connaît bien la Chine, enseigne à l'université Tsinghua à Pékin, et a découvert un monde musical insoupçonné, qu'il a fait vivre pour le public durant presque deux heures, avec de nombreux exemples musicaux à l'appui. Après une introduction sur l'importance de la magie de la Nature dans la pensée chinoise, sur la différence des gammes, puis sur la nomenclature des instruments de musique, proche de la nôtre hormis l'absence de claviers, il s'est lancé dans l'aventure, en suivant la chronologie. Les premiers contacts entre les deux musiques sont dus aux missionnaires jésuites des XVIIème et XVIIIème siècles. En 1809, Weber écrivit sa très étonnante ouverture de Turandot, basée sur un air chinois (via Jean-Jacques Rousseau), thème repris ultérieurement par Hindemith dans ses célèbres Metamorphosen. La gamme pentatonique remplace notre gamme chromatique et rend cet effet "exotique" si recherché par nos musiciens du XIXème siècle. André poursuivit son panorama historique en relatant les concessions européennes, les guerres japonaises, la création du conservatoire, en 1927, et les premières compositions classiques chinoises d'un He Luting (1903-1999), par exemple, dont il fit entendre le beau poème symphonique, Sendijema. L'émergence du parti communiste de Mao Zedong et sa terrible "Longue Marche", la Cantate du Fleuve jaune, de Xia Xinghai (1939), l’illustre, œuvre hyper patriotique, dont le texte ne ferait nullement rougir les meilleurs poètes du réalisme-socialisme stalinien. Art et politique se lient durablement, comme en Russie soviétique : leur subordination devient totale. Madame Mao aimant curieusement la forme du concerto, elle commanda, en pleine révolution culturelle, le Concerto du Fleuve Jaune (1969), sorte de transcription de la cantate, pièce hybride tentant de réconcilier les traditions chinoises et occidentales. L'imitation d'instruments locaux voisine avec une orchestration hyper-romantique, digne de Rachmaninov. Les rythmes martiaux abondent. On n'est pas loin non plus de certaines danses du ballet Le Pavot rouge de Glière (1927). Beaucoup plus intéressant paraît l'autre tube de la musique chinoise de l'époque, le concerto pour violon "Les Papillons amoureux", inspiré d'une légende féodale (1959). L'écriture du soliste s'aligne souvent sur celle du erhu, violon chinois, au glissandi surprenant à nos oreilles. L'oeuvre est très poétique, et pourrait évoquer le style pastoral de Delius. Tous ces fragments musicaux étaient présentés sur écrans, sur lesquels on pouvait suivre la partition, page après page. Comme le disait l'orateur, ces oeuvres des années 1960-1970 restent encore fort appréciées en Chine, même si le contexte est largement pris en ligne de compte, grâce à l'évolution des mentalités. On y découvre une volonté nette d'intégration de la musique chinoise dans les formes de la tradition occidentale. Après une heure et demie d'écoute, le public, d'abord surpris par ce langage plutôt passéiste, a compris l'évolution musicale de ce pays lointain, et si intéressé par "notre" musique. Ce fut là tout l'art de Jean-Marie André de l'avoir exposé, de manière simple et convaincante, sans a priori, un art parfois difficile pour nos oreilles habituées à une tout autre évolution de langage. Il nous promet une suite, consacrée à la musique contemporaine chinoise, qui, elle, rejoint nos interrogations actuelles, mais peut-être se dilue-t-elle dans un courant général...
Bruno Peeters

Bruxelles, Académie Royale des Beaux-Arts, le 7 octobre 2014

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