La musique pour quatuor à cordes de Britten  par l’Emperor Quartet, réunie en un coffret

par

Benjamin Britten (1913-1976) - The Music for String Quartet. Quatuors à cordes n° 1 op. 25 en ré majeur, n° 2 op. 36 en do majeur et n° 3 op. 94 ; Three Divertimenti ; Miniature Suite ; Quatuor à cordes en ré majeur ; Alla Marcia ; Simple Symphony op. 4 ; Rhapsody ; Quartettino ; Phantasy en fa mineur pour quintette à cordes ; Quatuor à cordes en fa. Emperor Quartet. 2005-2011. Notices en anglais, en allemand et en français. 202.10. BIS-2640.    

Le label BIS regroupe en un coffret trois albums Britten gravés en 2005 2007 et 2011, chacun d’eux étant accompagné, excellente initiative éditoriale, de leur petit livret d’origine intégral, contenant une notice en trois langues. Les quatuors de Britten ont bénéficié d’une discographie généreuse, à commencer par les Amadeus, pour Decca, dès 1963 et 1978. D’autres ont suivi, notamment les Endelion (EMI, 1986, repris dans « The Collector’s Edition » dédiée à Britten en 2008), les Maggini (Naxos, 1998/99), les Brodsky (Challenge Classics, 2002), les Belcea (EMI, 2005), les Britten (Brilliant, 2010), les Emerson (2017) ou les Doric (2019). En 2013, paraissait chez Hyperion la version du Quatuor Takacs, que l’on peut considérer comme la référence la plus convaincante. Ici, l’Emperor Quartet, formé au Royaume-Uni en 1992 (Martin Burgess et Clare Hayes, violons, Fiona Bonds, alto, et William Schofield, violoncelle), élargit le propos au-delà des trois partitions numérotées pour présenter un panorama plus large de pages consacrées à son ensemble.

Si l’on veut découvrir les jeunes années de création de Britten, il faut commencer par le troisième disque (ancien BIS-1870), gravé en 2011, qui regroupe des compositions entre avril 1928 et février 1934, à commencer par un Quatuor en fa, alors que le musicien est encore étudiant. Il n’a pas encore quinze ans et prend des leçons auprès de Frank Bridge, dont l’audition de The Sea, trois ans auparavant, l’a enthousiasmé. Cette œuvre d’écolage se rattache encore à l’esthétique du XIXe siècle, avec un soin particulier apporté à l’alto, qui sera l’instrument préféré de Britten dans la famille des cordes. La Rhapsody de 1929, puis le Quartettino de 1930 montrent que Britten s’intéresse à des contemporains comme Ravel, Bartók ou Schoenberg. Son talent se manifeste vraiment dans la Phantasy pour quintette à cordes de 1932, qui remportera un prix, sa qualité harmonique et sa souplesse rythmique étant reconnues. Quant à la Simple Symphony (1933/34), écrite pour orchestre à cordes ou quatuor, la vivacité de ce qui est plutôt une suite de danses affirme une écriture qui se nourrit de chansons et pièces instrumentales déjà utilisées par Britten. L’Emperor Quartet (avec l’altiste John Metcalfe pour la Phantasy) apporte la fraîcheur nécessaire à cette première moisson, avec un sens aigu de l’écoute mutuelle.

Si le Quatuor n° 1 date de 1941, d’autres pages composées avant cette date sont présentes : une Miniature Suite de petites pièces légères de 1929, une brève Alla Marcia de 1933, sorte de scherzo parodique, Three Divertimenti raffinés de 1936 qui se déclinent en Marche, Valse et Burlesque pour honorer Frank Bridge, mais évoquer aussi Mahler, Berg et Bartók. Dans un Quatuor en ré majeur de 1931 que Britten révisera en 1974 pour le Festival d’Aldeburgh, un certain académisme se fait encore jour, mais, dans sa mouture initiale, le compositeur apporte des éléments plus personnalisés, en particulier dans le chantant Lento ed espressivo

C’est donc en 1941 que naît le Quatuor n° 1, qui est créé à Los Angeles le 21 septembre, après un séjour en Californie, Britten ayant choisi l’exil pour deux ans en raison de son pacifisme. Il adopte la forme en quatre mouvements, soigne la construction, l’intensité et l’émotion et atteint un équilibre dans un Andante calmo qui rappelle l’atmosphère sensible et amoureuse des arrangements des Sonnets de Michel-Ange écrits pour Peter Pears un an auparavant. Le Quatuor n° 2, en trois mouvements, apparaît en 1945, à l’occasion de la commémoration des 250 ans de la disparition de Purcell, avec lequel, comme le signale Arnold Whitehall, compétent signataire des trois notices du coffret, le lien est explicite dans le troisième mouvement (Chacony), mais sans qu’il s’agisse d’un acte de piété néoclassique ou néobaroque. Le lyrisme et l’énergie s’y déploient dans l’Allegro calmo senza rigore initial, avant un Vivace très dynamique. Britten laisse libre cours à un climat dramatique, faisant de ce second quatuor une page originale et pleine de maturité. 

Il faudra patienter trente ans avant l’écriture du Quatuor n° 3 : Britten achève à Venise la partition commencée à Aldeburgh et la dédie au musicologue autrichien Hans Keller, un admirateur des deux premiers quatuors. Les Amadeus en assurent la création quinze jours après le décès du compositeur. S’agit-il d’un adieu ? Son découpage en cinq mouvements, qui portent chacun une indication (Solo, Burlesque…), se conclut par La Serenissima, ‘Recitative and Passacaglia’, qui évoque la dimension spirituelle et l’ambigüité de l’opéra Death in Venice de 1973. Une partition poignante, avec des allusions à Berg et à sa Suite lyrique, mais aussi à Wagner, Zemlinsky ou Mahler et Chostakovitch, dans un Burlesque qui ouvre la porte à bien des questions.

Ce vaste panorama de la musique pour quatuor à cordes de Britten bénéficie d’une interprétation globalement soignée et engagée. Si les Takacs demeurent la préférence pour les opus 25, 36 et 94, l’Emperor Quartet mérite une place enviable dans la discographie chambriste du compositeur anglais, dont il couvre une part essentielle. 

Son : 9    Notices : 10    Répertoire : 9    Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

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