La Neuvième de Bruckner à Bamberg, la beauté plastique sans l’élévation

par https://www.crescendo-magazine.be/dating-st-catharines/

Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 9 en ré mineur. Orchestre symphonique de Bamberg, direction Jakub Hrůša. 2022. Notice en allemand, en anglais et en français. 60.06. Accentus ACC 30605. 

En 2021, le chef tchèque Jakub Hrůša (°1981, originaire de Brno et directeur musical de l’Orchestre symphonique de Bamberg depuis 2016, signait pour Accentus un album consacré aux trois versions et à des fragments divers de la Symphonie n° 4 de Bruckner, dont nous nous sommes fait l’écho le 12 janvier 2022. La phalange de cette cité du nord du Land de Bavière, fondée juste après la Seconde Guerre mondiale, a connu à sa tête des baguettes brucknériennes célèbres, comme celles de Joseph Keilberth ou des deux frères Jochum ; elle est ancrée dans une tradition qualitative. L’actuel responsable de la formation a déjà déclaré lui-même qu’il était un admirateur des grands brucknériens historiques que sont Abbado, Bernstein, Celibidache, Furtwängler, Karajan ou Wand. Dans le cadre de la commémoration du bicentenaire de la naissance du compositeur autrichien, il propose une version de la Neuvième qui nous laisse quelque peu sur notre faim. 

On ne reviendra pas ici sur la genèse bien connue de cette partition inachevée, que la notice d’Alexander Moore, intitule, non sans raison, « la rédemption par la musique », tant l’imprégnation spirituelle y est présente ; Bruckner l’a d’ailleurs dédiée « à Dieu ». Le 30 novembre 1894, il mettait la dernière main au troisième mouvement, mais il ne put achever le final. C’est sous cette forme en trois mouvements que la présente gravure a été effectuée en novembre 2022, dans la Konzerthalle de Bamberg. On ne niera pas aux pupitres de cette formation leurs qualités individuelles (les cuivres), l’équilibre des masses, le souci des détails, ni la clarté qui se dégage de l’ensemble. La beauté plastique n’est pas en cause, elle est présente, mais c’est plutôt du côté de l’investissement sensible que la frustration se fait jour. 

Malgré les références auxquelles il fait allusion, le chef semble avoir laissé au second plan le lyrisme chantant qui traverse le Feierlich, misterioso, ainsi que la profonde dimension spirituelle que certains prédécesseurs ont portée, jusqu’à la grandeur intemporelle, dans l’irrésistible coda de ce premier mouvement (citons Giulini à Chicago en 1976, alors pour EMI ; Abbado à Lucerne en 2014, pour DG ; Bernstein à Vienne en 1990 , quelques mois avant son décès, à voir sur un DVD EuroArts de 2006, où l’émotion du chef est palpable à fleur d’image). Le Scherzo manque de mordant et réduit la portée des scansions inexorables et des martèlements démoniaques, ici bien timides. Quant à l’Adagio, si visionnaire, il s’égrène sans cette part de mysticisme qui ouvre les portes de l’éternité dont il appelle le mystère avec confiance. 

On ne niera pas à cette version des phases d’élans ou de tendresse ; on ne l’accusera pas non plus d’être dénuée de sincérité. Mais à aucun moment, elle ne nous émeut jusqu’à nous bouleverser. C’est passer à côté de sa valeur essentielle. La recherche de la beauté plastique  a-t-elle mis l’élévation sous le boisseau ? La question est posée. Quant à la prise de son, elle a  sa part de sécheresse, et, parfois, de brutalité d’accents qui nous déconcertent. En fin de compte, c’est une gravure mi-figue mi-raisin qu’Accentus propose ici.

Son : 8    Notice : 9    Répertoire : 10    Interprétation : 7,5

Jean Lacroix       

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