La Pologne ranime le souvenir du pianiste Jan Ekier

par

Frédéric Chopin (1810-1849) : Nocturnes op. 27 n° 1 en do dièse mineur et n° 2 en ré bémol majeur ; Etudes op. 10 n° 12 en do mineur et op. 25 n° 2 en fa mineur ; Berceuse op. 57 en ré bémol majeur ; Scherzo op. 31 en si bémol mineur et op. 39 en do dièse mineur ; Valses op. 34 n° 1 en la bémol majeur et op. 64 n° 2 en do dièse mineur. Karol Szymanowski (1882-1937) : 4 Mazurkas op. 50 ; Masques op. 34 : Schéhérazade ; 2 Mazurkas op. 62. Jan Ekier, piano. 1954-1978. Notice en polonais et en anglais. 75.17. Dux 1838.

Décédé à plus de cent ans (1913-2014), le pianiste Jan Ekier, peu connu chez nous, est l’une des figures centrales du piano polonais au XXe siècle. Cet album d’archives historiques vient rappeler son importance tant sur le plan des instances culturelles de son pays que dans le domaine de la pédagogie ou de l’interprétation de Chopin et de Szymanowski. Jan Ekier a été diffusé à l’ère du microsillon par des labels comme Muza, Telefunken, Wifon, Eterna, Karussell ou Erato, qui a accueilli ses magnifiques Polonaises dans la fameuse intégrale Chopin de 25 disques des années 1970, initiée par l’État polonais, luxueux objet de collection, où figuraient près d’une quinzaine de pianiste nationaux, parmi lesquels Wladyslaw Szpilman ou Henryk Sztompka. Ces mêmes Polonaises par Jan Ekier firent l’objet, toujours chez Erato, d’un 33 Tours spécifique dans la série « Fiori musicali », en couplage avec des interprétations de Halina Czerny-Stefanska.

Originaire de Cracovie, Jan Ekier est le fils d’un compositeur amateur et le frère de la pianiste Halina Ekier (1915-1962) qui n’hésitera pas, sous l’occupation, à jouer des compositeurs interdits lors de concerts privés. Jan fait de même, travaille clandestinement pour le Bureau de l’Information et de la Propagande qui informe les autorités polonaises établies à Londres, et écrit des chansons pour soutenir le moral des soldats. Il donne une série de trente concerts dans différents lieux du centre de Varsovie pendant le soulèvement de 1944 contre l’occupant allemand. Avant la guerre, il a étudié le piano à Cracovie avec Olga Stolfowa et a obtenu son diplôme au Conservatoire de Varsovie en 1937, année où il se présente au 3e Concours International Chopin, remporté par le Russe Yakov Zak. Jan Ekier se classe huitième. A cette époque, il donne déjà des concerts et commence à composer, pour le piano et pour orchestre. 

Après la guerre, après un bref passage à Lublin puis à Sopot, il est nommé professeur à la Haute Ecole de Varsovie, qui va devenir l’Académie de Musique Frédéric Chopin, et y exerce pendant plusieurs dizaines d’années. Il est membre du jury du Concours Chopin de 1960 à 1980, et en devient le président honoraire en 2010, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Chopin. Il donne aussi maints concerts, jusqu’en Chine et au Japon, ainsi qu’en Amérique du Sud. Mais son grand titre de gloire est sans doute d’avoir lancé le projet à Cracovie, dès 1959, d’une monumentale édition Chopin dont la publication débute en 1967 avec les Ballades et s’échelonnera sur trois décennies.

Le panorama que propose le label Dux en hommage à cette éminente figure de la musique polonaise est représentatif de son art et est extrait de disques parus entre 1954 et 1978. Tout en noblesse légère, en couleurs diversifiées, en phrasés souples et en poésie généreuse, sa vision fervente mais équilibrée de Chopin s’exprime dans deux Nocturnes de l’opus 27, le n° 1 et le n° 2, poignant (1954), ou dans les Scherzos n° 2 op. 31 (1954) et n° 3 op. 39 (1972). Les deux Etudes, la douzième de l’opus 10 et la deuxième de l’opus 25 (1956), ainsi que des Valses (1969 et 1972) sont des témoins de sa capacité expressive et de son approche stylée. La Berceuse op. 57 (1962) est pleine de tendresse. On découvre encore quelques pages de Szymanowski, dont il est un défenseur, enregistrées en public pour la Radio polonaise en mars 1978. Les quatre premières Mazurkas, tirées de la vingtaine de l’opus 50, et les deux de l’opus 62, reflètent bien l’inspiration rythmique du compositeur né aux confins de la Pologne, dans la cité de Tymochivka, alors en Russie, aujourd’hui en Ukraine. Quant à Schéhérazade, premier Masque de l’opus 34, Jan Ekier en révèle toute la féerie orientale.

Ce précieux album rend un hommage remarquable à ce pianiste dont la présence dans la discothèque de tout amateur de piano se justifie pleinement. Ces archives ont été soigneusement restaurées, mais ne cachent pas tout à fait leur âge, en particulier dans Szymanowski. Ce n’est qu’un léger inconvénient, vite oublié dès le début de l’audition. Quelques belles photographies de Jan Ekier rehaussent le souvenir de cet artiste qui a traversé un siècle. 

Son : 7,5  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix   

     



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