La prochaine saison de La Monnaie
Avant de procéder pendant près d’une heure et demie à la présentation de la saison 2014-2015 de la Monnaie, Peter de Caluwe commença par rendre hommage à Gérard Mortier, décédé à peine 12 jours avant la conférence de presse. Le directeur général de la Monnaie parle avec cette assurance tranquille des personnes qui pourraient paraître immodestes dans leurs desseins mais qui sont -tout au contraire- animés par l’inébranlable conviction de faire oeuvre utile pour l’ensemble de la société en insistant sans faillir sur l’importance à la fois de la beauté et d’un esprit critique sans cesse en éveil pour que la culture enrichisse véritablement la vie des citoyens, et ne soit pas réduite au rôle de divertissement coûteux et de gouffre à subventions auquel certains veulent la limiter. A ce propos, il offrit un chiffre parlant, démontrant que si, dans le cas de la France, la culture représente 0,5% du PIB en termes d’investissements, elle génère en retombées 3,85% de celui-ci, soit davantage que l’agriculture ou l’automobile.
Présentant ce qui sera sa huitième saison à la tête de l’institution bruxelloise, Peter de Caluwe peut se targuer de se trouver face à une situation financière où les déficits du passé ont été ramenés de 9 millions d’euros -en 1993 lors du départ de Gérard Mortier- à quelques 200.000 euros à peine qui devraient être apurés pour la fin 2015 (et les efforts du directeur financier Bernard Coutant y ont largement contribué).
Bien sûr, une maison d’opéra doit sans cesse faire l’objet d’investissements et cette année des travaux sont prévus pour les ateliers et le changement des sièges (on ne s’en plaindra pas). Le bâtiment de la place de la Monnaie fera, lui, l’objet d’une grande rénovation à partir de mai 2015.
Quant à la saison artistique proprement dite, elle sera placée sous le signe des sept péchés capitaux. Il faut dire que l’opéra, art de toutes les passions, les réunit aisément, à commencer par le Don Giovanni de Mozart dont la mise en scène sera confiée à Krzysztof Warlikowski dont la vision risque fort d’être sans pitié. Ludovic Morlot dirigera l’oeuvre de Mozart, et le directeur musical de la Monnaie assurera également la création mondiale de Penthesilea du rigoureux Pascal Dusapin. Une autre création à suivre avec intérêt sera Shell Shock du jeune compositeur belge Nicholas Lens, evocation de la Première guerre mondiale sur des textes de Nick Cave et dans une mise en scène et chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui. Le magnifique Jakob Lenz de Wolfgang Rihm et Medulla, opéra intergénérationnel sur des chansons de Björk complèteront l’affiche contemporaine. Le baroque sera lui aussi bien servi: Christophe Rousset dirigera un diptyque Händel réunissant Tamerlano et Alcina. René Jacobs dirigera des versions de de l’Enlèvement au sérail de Mozart et du Barbier de Séville de Paisiello. Verdi ne sera pas oublié avec son Ballo in maschera confié au tandem Carlo Rizzi et Alex Ollé (de la Fura dels Baus). Guy Joosten et le chef Lothar Koenigs ouvriront la saison avec la rare et enchanteresse Daphne de Richard Strauss. Celle-ci se conclura par un triptyque Rachmaninov donné dans l’ex-cinéma Marivaux et reprenant ses trois opéras en un acte: Aleko, Le Chevalier ladre et Francesca da Rimini.
Pour ce qui est des concerts symphoniques, Ludovic Morlot conduira son orchestre dans une intégrale des symphonies de Schumann ainsi que dans L’Enfance du Christ de Berlioz, et Kazushi Ono -qui a laissé tant de beaux souvenirs au public de la Monnaie- conduira un cycle de trois concerts mêlant grandes pages de Siblius et de Schubert. Le compositeur viennois sera à l’honneur dans le cycle de récitals, puisque ses trois grands cycles vocaux seront confiés à Georg Nigl, Nathalie Stutzmann et Bo Skovhus. La soprano Kerstin Avemo, la comédienne Valérie Dréville et le pianiste Alain Franco seront réunis dans un Schwanengesang mis en scène par Rome Catellucci. Le rare opéra Fierrabras de Schubert sera donné deux fois en concert sous la baguette de Adam Fischer. Quant aux Impromptus, ils serviront de base à une chorégraphie de Sasha Waltz. Anne Teresa de Keersmaeker reprendra Partita 2 sa chorégraphie sur la Deuxième Partita pour violon de Bach (qu’elle dansera avec Boris Charmatz) et assurera une création très attendue sur des chansons de Brian Eno.
D’autres concerts et récitals de chant complètent encore l’affiche d’une saison qui s’annonce, une fois de plus, particulièrement prometteuse.
Patrice Lieberman