Dejana Sekulić : des mains exigeantes au service de musiques complexes

par

Clara Iannotta (1983 -), Dario Buccino (1968-), Rebecca Saunders (1967-), Liza Lim (1966-), Evan Johnson (1980-), Cathy Milliken (?-), Aaron Cassidy (1976-) : Temporality of the Impossible. Dejana Sekulić. 65’57 – 2022 – Livret en : anglais. Huddersfield Contemporary Records. HCR26CD. 

Pointu et difficile, le projet Temporality of the Impossible, dont le disque du même nom de Dejana Sekulić, Serbe habitant Bruxelles, est une première publication assume son ambition de repousser les limites de l’utilisation du violon : là où le son dépasse ce qu’on connaît de l’instrument, là où la technique de jeu s’étend et excède l’usage ordinaire (par un accordage inhabituel, une préparation inattendue), là où la notation sort de la portée, quitte à créer de l’ambiguïté, voire une confusion volontaire -et rendre chaque interprétation unique (celle-ci d’autant plus qu’elle est enregistrée dans l’acoustique naturelle et sur le plancher octogonal, accoutumé au pas du tango argentin, de L’Argonne @ Bruxelles).

Dans dead wasps in the jam jar (i), la compositrice (elle a d’abord pratiqué la flûte) italienne Clara Iannotta altère l’instrument au moyen de trombones, d’un dé à coudre, d’une sourdine, alors que son compatriote Dario Buccino fait intervenir le hasard dans Finalmente il tempo é intero nº16, selon une matrice complexe et précise -son système HN (pour « ici et maintenant », en latin) combine des techniques de notation, de jeu, de composition et repose sur la paramétrisation d’actions physiques- dont l’application, ardue, ne délivre pas deux fois le même résultat. Ponctué de silence, Hauch, l’apport de Rebecca Saunders (elle aime mettre en avant les caractéristiques sculpturales des sons), impose un jeu tactile, millimétré ; chacune de ses huit sections émergeant et disparaissant dans un néant ouaté. The Su Song Star Map, qui lui succède, est d’un abord plus grave : Liza Lim, voix originale née en Australie d’ancêtres chinois et imprégnée d’européanité, s’inspire ici de cartes stellaires du 11e siècle pour bâtir un univers sonore nanti et ventru.

Avec ce titre (Wolke über Bäumen) emprunté à un dessin au crayon de Paul Klee, Evan Johnson anachronise l’instrument (un violon moderne soumis à un archet baroque), le désaccorde, le réaccorde pendant la pièce, et alterne densité chaotique et austérité éparse -une piste parsemée d’obstacles. Cathy Milliken, née à Brisbane et basée à Berlin, offre à Dejana Sekulić l’occasion de faire entendre sa voix pour évoquer celle de la journaliste et blogueuse maltaise Daphne Caruana Galizia que font taire les corrompus qu’elle dénonce et qui piègent sa voiture un après-midi d’octobre 2017 : Crie est un morceau pour ceux qu’on voudrait réduire au silence. The Crutch of Memory, d’Aaron Cassidy, un de ces compositeurs férus de Nouvelle Complexité (ici, les caractéristiques physiques de l’instrumentiste font partie de la notation et impactent directement le résultat) clôt un disque où l’exigence est ici à l’avant-plan : celle du compositeur qui cherche à repousser les frontières, celle du soliste qui essore son instrument pour en extirper les dernières (?) gouttes de créativité, et celle de l’auditeur qui consacre son écoute à une exploration où la curiosité prévaut sur le plaisir.

Son : 7 – Livret : 6 – Répertoire : 7 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

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