La sensibilité pianistique de Charlene Farrugia au service de Khachaturian

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Aram Il’yich Khachaturian (1903-1978) : 7 Récitatifs et fugues ; Album pour enfants, livres I et II. Charlene Farrugia, piano. 2020. Notice en anglais et en allemand. 67.40. Grand Piano GP834.

Née en 1986, la pianiste maltaise Charlene Farrugia a étudié avec Dolores Amadio, puis avec Diana Ketler à la Royal Academy of Music de Londres. Elle a reçu des conseils de Boris Petrushansky pendant sept ans. Elle a fait ses débuts en concert en jouant le Concerto pour piano n° 1 de Mendelssohn. Cette jeune artiste, qui s’est déjà produite en récital à Bruxelles au Château Sainte-Anne, a enregistré pour Naxos en 2015 le Concerto n° 1 « Méditerranéen » de Charles Camilleri (1931-2009), considéré comme le compositeur national maltais. Pour Grand Piano, elle propose un disque Khachaturian gravé au Henry Wood London en 2020. 

L’enfance et l’adolescence d’Aram Khachaturian, né à Kodjori dans la banlieue de Tiflis -actuelle Tbilissi en Géorgie- s’est déroulée à l’époque où la Russie connaissait des bouleversements historiques ; selon l’un de ses biographes, G. Tiganov, sa famille arménienne voyait d’un bon œil le mouvement révolutionnaire dans l’espoir de jours meilleurs. Dès 1921, son frère Souren, qui dirige les Studios d’art dramatique arménien à Moscou l’emmène avec lui. Le jeune Aram s’inscrit à l’Ecole secondaire de musique Gnessine où ses progrès sont rapides. En 1925, il est dans la classe de composition, pour laquelle il se révèle très doué. Il entre ensuite au Conservatoire de Moscou où il va suivre les cours de Miaskovsky et de Glière. Il écrit dès 1928 des fugues pour piano qu’il révisera quarante ans plus tard, mécontent de leur imperfection, et il leur ajoute des récitatifs. Ces quatorze brèves pièces, publiées à Moscou en 1974, forment la première partie du programme de ce CD. Dans la notice, Charlene Farrugia explique qu’en se penchant sur ces œuvres, elle a constaté qu’elles étaient largement négligées sur le plan discographique. Sensible à leur attrait, en particulier celui de la Fugue n° 6, un Andante sostenuto, elle a décidé de les approfondir. On admettra que ces pages, si elles montrent le goût du musicien pour la mélodie, le rythme et la couleur, n’en sont pas moins en recherche d’originalité. On y découvre l’un ou l’autre écho baroque, en particulier de Bach, à travers une série de pièces qui donnent la priorité au chant et à la poésie. Ces éléments donnent toutefois l’impression d’un travail appliqué dont la diversité s’écoute d’une oreille relativement bienveillante.

La deuxième partie est dévolue aux deux Livres mieux connus de l’Album pour enfants. Il s’agit ici aussi de courtes pièces, qui ont attiré l’attention récente de plusieurs pianistes : Murray McLachlan, Iyad Sughayer, Tristan Pfaff… Le premier recueil, Tableaux de l’enfance, date de 1947. Avec une intention pédagogique, dans la ligne de ce qu’attend le régime au pouvoir en termes de simplicité et de compréhension immédiate, le compositeur écrit une dizaine de petits récits de difficulté croissante. Les sujets s’adressent aux enfants : promenade non effectuée, maladie, anniversaire, cavalerie…, dans un contexte de fin lyrisme plein de vitalité et de fraîcheur. G. Tiganov, déjà cité, écrit qu’on est frappé par le sérieux avec lequel le musicien aborde ce domaine bien particulier, trouvant une solution à tout un ensemble de problèmes artistiques, techniques et éducatifs […] (Editions Radouga, Moscou, 1983, p. 67). On y trouve notamment un bel Adagio qui est une adaptation d’une danse du ballet Gayaneh (n° 8 : Invention).

Un peu moins de vingt ans plus tard, en 1964-65, Khachaturian joint un Livre II à son premier Album pour enfants. Là aussi, les sujets sont variés : saut à la corde, conte du soir, jeu du tambourin, dispute de commères ou gymnastique rythmique jalonnent un parcours de dix séquences colorées et dynamiques qui semblent globalement plus libres au niveau de l’inspiration, mais aussi de difficulté supérieure, avec des réminiscences de folklore arménien et l’un ou l’autre souvenir de Schumann, Tchaïkowsky ou Bartók.

Charlene Farrugia anime tout cela avec beaucoup de subtilité et de sensibilité esthétique. Le toucher est bien adapté à ces miniatures pleines de vitalité et de part de rêve. On aimerait toutefois la découvrir dans des pages du grand répertoire.

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 7  Interprétation : 8

Jean Lacroix   

 

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