Soirée baroque italienne à Versailles
Stravaganza d’amore ! La naissance de l’opéra chez les Médicis. Œuvres de Fantini, Malvezzi, Caccini, Monteverdi, da Gagliano, Marenzio, Orologio, Allegri, Peri, Giramo, Buonamente et de Cavalieri. Léa Desandre et Eva Zaïcik, sopranos ; Lucile Richardot, alto ; Davy Cornillot, Emiliano Gonzalez Toro et Zachary Wilder, ténors ; Nicolas Brooymans, basse. Chœur et Orchestre Pygmalion, direction Raphaël Pichon. 2019. Livret en français, anglais et allemand. 107.00. DVD Château de Versailles CVS019.
La collection du label « Château de Versailles spectacles » ne cesse de s’enrichir de productions de qualité. Après la splendide évocation récente du sacre royal de Louis XIV, c’est à l’Italie qu’une autre réminiscence est dédiée. La notice du livret, signée par Raphaël Pichon qui dirige le concert auquel on assiste ici, rappelle qu’en 1607 était créé à Mantoue, dans le cadre du carnaval, l’Orfeo de Monteverdi. C’est en se posant la question des circonstances de l’apparition de cette merveille qu’est née l’idée d’aller à la découverte de productions qui l’ont précédée, « notamment celles qui étaient données à la cour des Médicis à Florence, sorte de laboratoire d’une richesse inimaginable, parfois même déroutante, où l’on peut déceler en germe de nombreux éléments contenus dans le grand Orfeo. » Un contexte historique a été déterminé, qui couvre la période de 1589 à 1611, soit de la création des intermèdes de La Pellegrina, dont la musique a été confiée à plusieurs compositeurs, à la représentation à Florence de la Dafne de Marco da Gagliano. On lira avec intérêt dans cette notice la description de l’ambiance qui régnait dans cette cité à l’occasion du développement des festivités et de leur potentiel social et politique.
Le présent concert public a été filmé dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles le 11 février 2019. Atout non négligeable qui permet de temps à autre d’admirer les œuvres d’art qui ornent ce lieu magique et chargé d’histoire. Pour la circonstance, Raphaël Pichon et son équipe ont proposé un découpage en quatre parties dénommées intermèdes. L’approche n’est pas la même que pour le sacre royal de Louis XIV, qui était accompagné d’une dynamique mise en espace des plus éloquentes. Ici, nous écoutons, avec bonheur, un concert traditionnel dont le choix judicieux a fait l’objet de soins artistiques dont on saluera le goût et l’intelligence. Quatre intermèdes donc, portant des titres suggestifs : l’extravagance de l’amour, la fable d’Apollon, les larmes d’Orphée et le bal des amants. Au cœur de ces chapitres, des allusions mythologiques voisinent avec des contextes où l’amour est mis en évidence avec ses émois, ses ardeurs et ses passions. Une succession d’extraits d’œuvres, au cours desquels le chant ou les instruments seuls (par exemple chez Orologio ou Malvezzi) interviennent, divise le tout en 34 numéros. Ce projet, malgré sa durée de plus de cent minutes, tient sans cesse l’attention en éveil ou la relance sans effort en raison de la diversité et de la beauté de la sélection. Le spectateur a accès à des compositions d’une douzaine de créateurs comme Monteverdi, Peri ou Cavalieri, ou de moins connus. Le plaisir de la découverte est à la hauteur de l’agencement du programme. Les textes des airs chantés ne sont pas reproduits dans le livret mais ils sont proposés par le biais d’un sous-titrage en trois langues. Le titre du DVD, « Stravaganza d’amore », n’est pas dans la liste des airs répertoriés, mais il émane du Lamento della Ninfa de Monteverdi et est situé en fin du premier intermède.
La réalisation vocale est impeccable, le plateau l’est tout autant. Les sept solistes requis sont tous idéalement investis, et l’on ne peut qu’englober dans les mêmes éloges les sopranos Lea Desandre (adorablement exquise en solo dans le troisième intermède) et Eva Zaïcik (qui fut deuxième lauréate du Concours Reine Elisabeth en 2018), l’alto Lucile Richardot, les ténors Davy Cornillot, Emilano Gonzalez Toro et Zachary Wilder, ainsi que la basse Nicolas Brooymans. Constitué d’une trentaine de membres, le Choeur Pygmalion fait l’étalage de sa cohésion, de sa fine musicalité et de son enthousiasme. Les parties polyphoniques sont ciselées avec ferveur. On retrouve les mêmes qualités dans l’Orchestre Pygmalion, ainsi que dans la direction de Raphaël Pichon, qui, d’un bout à l’autre de cette soirée qui passe trop vite, ne cesse d’animer et de relancer, avec une joie que l’on ne peut que partager, mais aussi avec précision, rigueur et doigté. On saluera l’initiative bienvenue de l’éditeur de proposer un portrait détaillé de chaque soliste vocal dans le livret.
Note globale : 9
Jean Lacroix