La Vie est un voyage

par

Abdel Rahman El Bacha, Un piano entre Orient et Occident
2014-DVD-51’-Stereo & 5.1, HDCam SR, sous-titres en anglais et néerlandais-Coproduction To Do Today-Larifilms-RTBF-Alize Production.
Après Augustin Dumay et José Van Dam, Gérard Corbiau (Farinelli, Le Maître de musique, Le Roi danse…) conclut le triptyque en réalisant un nouveau documentaire consacré à Abdel Rahman El Bacha.Est-il encore nécessaire aujourd’hui de rappeler son parcours ? Né au Liban de deux parents musiciens, El Bacha fut l’élève de Zvart Sarkissian (élève de Marguerite Long) avant d’intégrer le Conservatoire de Paris en 1974, obtenant pas moins de quatre Premiers Prix. Quatre années plus tard, c’est la consécration, il remporte le Premier Prix à l’unanimité – fait rare ! - du Concours Reine Elisabeth. Suivront de nombreux engagements sur toutes les scènes, des enregistrements tous salués par la presse et un désir de transmission à l’occasion de sa résidence à la Chapelle Reine Elisabeth. El Bacha est un pianiste atypique. Profondément humain, il porte un regard lucide sur un monde cloisonné par les frontières, les langues, les religions et tout ce qui divise l’humanité. En citant Dostoïevski, « La beauté sauvera le monde », El Bacha se présente dans ce documentaire comme un musicien apaisé, loin de l’agitation terrestre et voulant à tout prix montrer que le musicien se doit de « briser ces frontières ». Faisant carrière malgré lui, comme le souligne ici Bernadette Beyne -que les lecteurs de Crescendo connaissent bien pour sa plume aiguisée et juste- El Bacha est en perpétuelle quête de la perfection et au service de la musique. Le Premier Prix du Concours Reine Elisabeth en poche, le pianiste comprend que la distinction ne suffit pas à faire carrière et que seuls le travail du répertoire, la maturité et la volonté de toujours se dépasser sont essentiels pour se faire une place. Ce sera ici l’occasion de retrouver le musicien dans des lieux et salles chargés d’histoires, de la salle Henry le Bœuf lors du Concours en 1978, à la Bibliothèque Romaine de Celsius (Ephèse) à l’occasion d’un concert en compagnie du Sinfonia Varsovia sous la direction de Jean-Claude Casadesus, sous l’œil attentif de José Van Dam. Tout au long du documentaire, El Bacha explique son idéal artistique, de la différence entre « devenir » ou « paraître », à sa manière d’envisager le piano comme un orchestre de couleurs. A travers ce cocktail de cultures, notamment par ses racines méditerranéennes que Corbiau met ici en avant, on découvre un homme humble, de partage, « fidèle à une pensée musicale ». Corbiau choisit des plans larges, tranquilles, dont le reflet du soleil vient colorer les paysages, pour un homme profondément affecté par la beauté, dont les doigts virevoltent au gré des vagues. A travers la musique, El Bacha tente de faire passer un message, un message de paix reliant tous les hommes entre eux. C’est aussi avec une certaine émotion que l’on revoit quelques moments-clés de sa carrière : la finale du Concours Reine Elisabeth avec le Deuxième concerto pour piano de Prokofiev sous la direction de Georges-Elie Octors, les reportages et critiques durant le concours, des collaborations artistiques avec Augustin Dumay, Pavel Gomziakov, et des défis presqu’impossibles comme l’intégrale Chopin lors des folles journées (14 heures de musique sur cinq jours en 16 concerts et de mémoire !), l’occasion de concevoir l’exécution des œuvres de manière chronologique, l’intégrale à la Roque d’Anthéron des 32 Sonates de Beethoven… El Bacha montre qu’il est un homme de défis, et le « dépassement de soi » le reflet de son évolution.
Sur des textes d’Andrée et Gérard Corbiau, narrés par Alexandra Vandernoot, le documentaire présente de nombreuses images de la méditerranée grâce à la croisière organisée par la Chapelle Reine Elisabeth, et présente une ligne directrice fluide. On prend plaisir à admirer les paysages tout en découvrant l’intériorité d’un pianiste exceptionnel. La musique est le langage de la vie, dira-t-il. Etre soi-même, se découvrir, faire les bons choix, ne pas décevoir, trouver sa place, choisir le répertoire qui convient le mieux et non celui que l’on aime, des points que chaque artiste doit perpétuellement remettre en question. Une belle leçon de musique mais surtout de vie et de bienveillance.
Ayrton Desimpelaere

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