Le Ballet de l’Opéra de Paris honore Jerome Robbins

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Il y a 25 ans disparaissait, en juillet 1998, le chorégraphe Jerome Robbins, figure majeure du néoclassicisme américain qui, dès 1948, s’associa à George Balanchine au sein du New York City Ballet et qui remporta un Oscar en 1961 pour sa chorégraphie de West Side Story, la comédie musicale de Leonard Bernstein. Avec le Ballet de l’Opéra National de Paris, il entra en contact en 1974 en assurant les répétitions de douze de ses créations ; vinrent s’y ajouter cinq autres à partir de 1989, au moment où il accepta l’invitation de Rudolf Nureyev d’en régler l’entrée au répertoire de la compagnie. 

Pour cet hommage, José Martinez, le Directeur de la Danse, a choisi trois de ces ouvrages caractéristiques en commençant par En Sol élaboré sur le Concerto pour piano et orchestre de Maurice Ravel et créé par le New York City Ballet le 15 décembre 1975 et repris immédiatement par le Ballet de l’Opéra le 12 décembre de la même année dans les décors et costumes d’Erté. Pour la série de 14 représentations donnée actuellement au Palais Garnier, l’on fait appel au grand pianiste français Frank Braley qui se glisse dans la fosse pour dialoguer avec l’Orchestre de l’Opéra National dirigé par la jeune cheffe estonienne Maria Seletskaja (interprété ici selon l'édition révisée RAVEL EDITION). Le rideau se lève sur un décor simpliste de bord de mer où le soleil brille sur un clapotis de vagues azurées et de nuages cotonneux. Six femmes en maillots de bain une-pièce sont rapidement rejointes par six nageurs qui profitent des inflexions jazzy du canevas orchestral pour flirter discrètement. Apparaît une femme en blanc (Léonore Baulac) qui, sur le Meno vivo du piano, séduit deux des jeunes hommes par d’amples déboulés-jetés avant l’entrée d’un sportif tout de blanc vêtu (Matthias Heymann) qui joue les observateurs en calculant chacun de ses mouvements avec une pondération sereine. Le sublime Adagio les rapproche lentement l’un de l’autre, occasionnant des portés sur le crescendo, des glissés sur le long trille conclusif. Et le Presto final engendre un fox-trot endiablé qui exprime la joie de vivre. 

In the Night en est le total contraire, en ne laissant en fosse qu’un piano à queue pour quatre Nocturnes de Chopin exécutés par la pianiste japonaise Ryoko Hisayama. Sous les éclairages suggestifs conçus par Jennifer Tipton, se succèdent trois couples portant de fort beaux costumes dessinés par l’ex-danseur britannique Anthony Dowell. Sur les volutes en arpèges de l’op.27 n.1, les jeunes Bianca Scudamore et Guillaume Diop en bleu-mauve traduisent les premiers émois amoureux, tandis que l’ample cantabile de l’op.55 n.1 confère un ton cérémonieux au couple en brun-or d’Héloïse Bourdon et d’Audric Bezard. Et l’agitato de l’op.55 n.2 insuffle à Bleuenn Battistoni et Thomas Docquir les tourments de la passion dévastatrice que le célèbre op.9 n.2 résorbera en faisant intervenir les trois couples reproduisant les mêmes figures chorégraphiques. 

Le programme s’achève avec The Concert ou les malheurs de chacun élaboré sur des pages de Chopin en partie orchestrées par Clare Grundman. Le décor de Saul Steinberg, les costumes d’Irene Sharaff nous entraînent dans un monde cocasse où une pianiste mondaine personnifiée par Vessela Pelovska relève bruyamment son tabouret pour épousseter dédaigneusement son clavier avant d’interpréter la Berceuse op.57 devant un Homme avec écharpe (Cyril Mitilian) suivi par deux Demoiselles fort dissipées (Inès McIntosh et Bianca Scudamore). Survient la Ballerine (Hannah O’Neill) se délectant avec ostentation de cette musique admirable sans percevoir que le Timide en jaune (Antoine Kirscher) lui a piqué sa chaise sous le regard réprobateur de la Fille en colère (Pauline Verdusen). Tout aussi comiques, le couple Laurène Lévy – Audric Bezard en passe de rompre, incitant le mari à poignarder sa femme, ou cette course de livreurs portant sous le bras les six poupées mécaniques, dont une à lunettes, incapable de coordonner ses attitudes avec ses consoeurs. Le Prélude à la goutte d’eau (op.28 n.4) si galvaudé provoque un remake de Singing in the Rain, précédant le tableau final où la Troisième Ballade op.47 dite du papillon transforme la vingtaine de danseurs en insectes à ailes diaprées qui éblouissent un public hilare. Une fort belle réussite que ce triptyque Jerome Robbins !

Paris, Palais Garnier, le 4 novembre 2023

Crédits photographiques : Julien Benhamou / ONP

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