Le clavecin de Louis Marchand par Ewa Mrowca : nerf et brio

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Louis Marchand (1669-1732) : Suite en ré mineur ; Suite en sol mineur ; La Vénitienne. Ewa Mrowca, clavecin. Livret en polonais, français, anglais. Octobre 2020. TT 35’03. Dux 1758.

« L’auteur donnera au public tous les trois mois, une suitte de pièces de clavecin alternativement avec une suitte de pièce d’orgue de chaque ton. » indiquait Roussel, le graveur du Premier Livre en 1699. Malgré la renommée de Marchand, seule une autre Suite fut publiée, nous rappelle le livret de ce CD. Selon certaines analyses, comme celle de Denis Morrier reprise dans la notice du disque Hortus (2006, avec Laurent Stewart et Freddy Eichelberger), « Marchand fit en sorte de ne pas gagner trop facilement un argent dont il n’aurait pas eu la jouissance intégrale ». Comprendre que son épouse avait obtenu la moitié de ses gages après une séparation du couple. Car le compositeur était connu pour son caractère acariâtre et vindicatif, quitte à ce que devant Louis XIV, en guise de protestation, il cessât de jouer pendant un office de la Chapelle royale, sous le prétexte qu’il ne percevait plus qu’un demi-revenu !

D’un des grands maîtres du clavier Grand Siècle, il ne nous reste donc pour le clavecin que ces deux Suites. Ou presque puisqu’on lui attribue aussi La Vénitienne tirée d’un recueil Pièces choisies (1707) de Ballard, qui ne crédite pas les compositeurs. L’album de Christophe Rousset (Ambronay, 2011) incluait aussi La Badine et une Gavotte, de paternité certes très incertaine. Le présent disque ne s’est adjoint que La Vénitienne, complétant un programme que même au temps du vinyle on aurait trouvé bien court…

Christophe Rousset, tout comme Blandine Verlet (Astrée, septembre 1978) et Anne Chapelin-Dubar la même année, optèrent pour le Pierre Donzelague (1716) du Musée des Arts décoratifs de Lyon. C’est une copie d’un clavecin du même facteur, celui conservé à Londres et daté de 1711, que joue Ewa Mrowca. Il est capté dans l’acoustique précise, brillante et adéquatement aérée de l’église St. Laurentius de Quadrath-Ichendorf. L’interprète lui soutire une ornementation parfaitement maîtrisée (les intrigues de la première Allemande, les Menuets), l’entraîne dans des courses effrénées (les Courantes), en tire des pyrotechnies éblouissantes (la Gigue en ré mineur !)

Cependant, les phrasés paraissent cartésiens, le discours insolemment frontal, l’agogique systématique et prévisible : débit régulier voire rectiligne (le premier Prélude, quoique mesuré sur la partition, ne doit-il se jouer avec liberté ?), la Gavotte en sol un peu trop plaquée pour évoquer le style luthé, la Sarabande en ré sans profondeur de champ… Le brio culmine dans une Chaconne hélas écrasante, lourdement registrée. On aurait aimé que cette remarquable artiste, dont le précédent CD consacré à Jean-Nicolas Geoffroy s’avérait très prometteur, tamise ses éclairages, façonne un modelé, nuance les respirations du texte, induise des hiatus, invente des couleurs autres qu’éclatantes. Le fantasque tempérament de Marchand se traduit ici par une lecture vive et piquante mais un peu réductrice dans son éclairage de plein phare et sa mécanique triomphante, sans ambages ni ombrage. L’étrangeté de Blandine Verlet, la finesse de Laurent Stewart nous manquent ici. En tout cas, si l’on peut discuter une esthétique qui semble tirer vers l’italianisme et l’aval du répertoire, les moyens techniques sont impressionnants, et pour ces raisons on souhaiterait à Ewa Mrowca un prochain disque Rameau où elle trouverait certainement à resplendir.

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 7,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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