Les « classiques » de Wim Mertens réunis dans un Best Of incontournable
“Inescapable”. Wim MERTENS (né en 1953). Artistes divers. 2019-4 CD-4h56'23"-Textes de présentation en anglais-Usura WMM 8020
Je les entends déjà d’ici, ceux qui nous demanderont à quel titre Wim Mertens s’invite sur un média dédié à la musique classique.
Pour que la critique soit recevable, encore faudrait-il que l’on s’accorde sur ce qu’est, après tout, la « musique classique » ! Vaste débat, en vérité. Surtout à l’ère actuelle, qui est par excellence celle du mélange des genres. Si l’on ne devait coller cette étiquette qu’aux « classiques » du répertoire ayant résisté à l’épreuve du temps, combien d’œuvres n’aurions-nous pas été contraints de passer sous silence? La quasi absence de références sur ce site à la musique de film -sauf peut-être lorsqu’elle émane de Chostakovitch ou de Prokofiev- relève déjà du parti-pris, tant il est vrai que de nombreux compositeurs de bandes originales pour le grand écran ont également écrit des symphonies, des concertos, voire des opéras (que l’on pense à Nino Rota, Ennio Morricone, ou même Howard Shore) et qu’on ne compte plus les vedettes associées au répertoire classique ou romantique (Anne-Sophie Mutter, Renaud Capuçon, Itzhak Perlman, et j’en passe) à se mettre à leur service.
Force est, en tout cas, de constater que des labels de la trempe de Deutsche Grammophon n’hésitent plus, aujourd’hui, à graver les œuvres d’un Max Richter, d’un Ludovico Einaudi ou d’un Johann Johannsson. Tout comme eux, Wim Mertens trouve, dès lors, régulièrement place dans le rayon « musique classique » de nos disquaires. C’est d’autant moins farfelu que, non content d’être compositeur, ce dernier est également musicologue, pianiste, guitariste et contre-ténor, que ses œuvres, si elles mobilisent à l’occasion des synthétiseurs (bannissant heureusement les horripilantes boîtes à rythmes), convoquent tantôt la harpe ou le piano, le tandem piano-voix, les trios, quatuors ou autres formations chambristes, tantôt des orchestres symphoniques au grand complet. Et il n’est pas rare, loin s’en faut, qu’elles soient exécutées par des chefs, ensembles ou interprètes « classiques » (parmi lesquels Frédéric Devreese ou Dirk Brossé, Marc Grauwels, le Brussels Philharmonic ou le Tenerife Symphony Orchestra), dans des salles de concert « rangées » du type BOZAR.
En fin de compte, ce qui distingue peut-être le plus la musique de Wim Mertens de celle à laquelle nos mélomanes de lecteurs se frottent le plus souvent, c’est le relatif désintérêt dont elle témoigne envers la forme : ces compositions d’un seul tenant portent, en effet, la marque d’une certaine spontanéité et consistent rarement en plus d’une ou deux mélodies, qui se transforment et se régénèrent de manière organique, sans réels développements au sens « classique » du terme. La monotonie, qui menace toujours en pareilles circonstances, est sapée -quelquefois avec un succès mitigé- en variant la dynamique ou l’épaisseur des couches instrumentales, en déplaçant les accents toniques, en recourant aux mesures composées ou en modifiant intelligemment, de plage en plage, les alliages instrumentaux. C’est dire que les œuvres de Mertens se prêtent difficilement à l’analyse musicale traditionnelle. Sont-elles, en cela, différentes de telle Gymnopédie de Satie, de telle bagatelle de Silvestrov ou de tel prélude ou air d’opéra de Philip Glass?
Glass, nous y voilà. La musique de Wim Mertens, comme celle de l’auteur d’Ernstein on the Beach, de Glassworks et de The Hours, vogue sans cesse, d’une partition à l’autre, entre un langage épuré, harmoniquement rudimentaire et cédant volontiers à la séduction des arpèges, et un langage davantage expérimental où les timbres s’entrechoquent et les rythmes, syncopes et contretemps s’enchevêtrent. Mertens n’a jamais caché sa prédilection pour les compositeurs américains de musique répétitive -La Monte Young, Riley, Reich et Glass, auxquels il a d’ailleurs consacré un livre, interviewant au passage un John Cage. Avec eux, il partage un attrait indéniable pour les propriétés psycho-acoustiques et la dimension « extatique » de la musique (ses postures au piano rappellent d’ailleurs parfois celles de Glass interprétant Dance…).
À vrai dire, à l’écoute de la plupart de ses œuvres, c’est surtout le nom d’un autre compositeur polyvalent qui vient à l’esprit : Michael Nyman. Les textures harmoniques fermement tonales, quelquefois émaillées d’« accidents », les inébranlables tapis roulants rythmiques et la variété des combinaisons instrumentales sont du même acabit chez l’un comme chez l’autre. Si la musique de Mertens est immédiatement reconnaissable, notamment par son recours fréquent à la voix de fausset du compositeur, rêvassant dans une langue imaginaire, et ses titres surréalistes, à cheval entre le néerlandais, le français et l’anglais, elle prend garde de ne pas s’enfermer dans un style. Certains opus sont brefs, d’autres s’étalent sur une dizaine de minutes, voire une dizaine de disques. Mertens a, du reste, signé de nombreuses musiques de film (notamment pour Je pense à vous des frères Dardenne) et de théâtre (par exemple, pour The Power of Theatrical Madness de Jan Fabre ou Le Roi se Meurt d’Ionesco).
Mais venons-en à ce fameux coffret, au titre aguichant autant que mérité: Inescapable. Incontournable, il l’est, en effet ; du moins, pour les afficionados de ce genre de musique. Il est, tout d’abord, d’une rare élégance et accompagné d’un livret richement illustré. Ensuite, il brosse plus de quarante ans de carrière d’un compositeur bientôt septuagénaire, depuis les années d’étude (la Suite Exakte de 1975, aux accents néobaroques) jusqu’à nos jours. Le précédent « best of », paru il y a dix ans déjà, ne comptait que douze pistes, contre soixante-et-une ici. Cette nouvelle compilation ravira ceux qui n’ont de la musique de Mertens qu’une connaissance approximative. Quasiment aucun « hit » ne manque à l’appel: 4 Mains, Un Respiro, Iris, Maximizing the Audience, Often a Bird, The Belly, Struggle for Pleasure (désormais inextricablement associée, dans le Plat Pays, aux publicités d’un opérateur de télécommunications…), Humility, Zoet’kemiesch, La Fosse, ou encore La Femme de Nulle Part. Pour contenter également les plus fidèles disciples du compositeur belge, on a évidemment pris soin d’inclure quelques inédits -le plus souvent, des versions de concert de morceaux bien connus, captées à Bruxelles, Bruges, Amsterdam, Bologne, Lisbonne, Rome, Saragosse, Ténériffe, ou au Guggenheim Museum de Bilbao. L’occasion de rappeler que le succès de Wim Mertens dépasse de très loin nos frontières !
Comme tous les « best of », celui-ci ne comblera probablement pas tout le monde. Aurait-il été possible de n’oublier aucun bijou parmi les 717 compositions que Mertens compte aujourd’hui à son actif ? Personnellement, je ne m’explique pas l’absence dans cette compilation de pages aussi envoûtantes que Voo Outro et, surtout, Z’s Rival. Certaines versions de concert n’ont, du reste, pas la saveur des versions originales (mais l’inverse est aussi vrai). Ces quelques bémols, assez négligeables en définitive, ne priveront cependant pas le plus grand nombre d’une bonne dose de plaisir !
À l’occasion de la sortie de ce « best of », Wim Mertens sera en tournée en Belgique et à l’étranger durant toute l’année 2020. Plus d’informations sur le site www.wimmertens.com.
Son 10 – Livret 9 – Répertoire 7 – Interprétation 10