Paul Hindemith, un compositeur un peu oublié

par

Paul HINDEMITH
(1895-1963)
Apparebit repentina dies, Six Chansons, Lieder nach alten Texten, Messe

SWR Vokalensemble Stuttgart, Mitglieder des Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR, Marcus Creed, direction
2013 – DDD – 67’42’’ – Texte de présentation en allemand et anglais – Hänssler Classic SCM – CD 93.295

Le compositeur de Mathis der Maler est mis à l’honneur dans cette nouvelle parution d’Hänssler classic. Disque consacré aux œuvres vocales d’Hindemith, on y découvre le travail architectural et de balance qui lui sont chers. Compositeur qui n’use pas encore du dodécaphonisme, son écriture reste moderne avec une touche d’ancienneté, mise en avant par l’utilisation de textes anciens. Après une longue fanfare percutante par sa rythmique engagée, le chœur rentre dans l’Apparebit repentina dies un peu comme dans l’œuvre chorale de Dallappicola : accents, dissonances, contrastes de nuances saisissants. Le SWR Vokalensemble Stuttgart rend cela avec une précision surprenante alors que les vents jouent avec justesse. Le texte médiéval en latin se fait aussi apprécié même lorsque les voix du chœur mixte se mêlent au point de ne plus comprendre la structure. Il arrive que l’on dise qu’Hindemith ennuie et pourtant il suffit d’écouter cette pièce parlant du jugement dernier pour comprendre que cet avis est erroné. L’effet donné par les cuivres est si dramatique que cela nous frappe au plus haut point. Divisé en quatre parties distinctes pour 23 couplets, chaque section a son caractère propre et explore les caractéristiques du texte. Comme un dialogue, cette œuvre est un récit musical réussi et passionnant. Les Six Chansons qui suivent écrites quelques années plus tôt utilisent des textes anciens alors que c’est une période néfaste pour le compositeur et sa femme. Sa musique bannie de l’Allemagne nazie, il choisit alors d’écrire en 1939 six chansons sur des textes en Français de Rilke. A cappella, ces chœurs sont redoutables pour l’intonation et la justesse rythmique. Ce ne sera pas un problème pour Marcus Creed qui modèle ces chansons avec pertinence même si le texte ne sera pas toujours précis. En revanche, belle qualité d’intonation et de musicalité pour le chœur. De beaux légatos, une belle homogénéité et une précision remarquable pour la rythmique redoutable que l’on nomme Motorik. Le contrepoint d’Hindemith est formidable par sa richesse mélodique et son parcours harmonique étonnant. Les Lieder sur des textes anciens écrits dans les années 20 sont des madrigaux qui comportent chacun un texte d’un auteur différent (Martin Luther – Burggraf zu Regensburg – Spervogel – Henrich von Morungen – Reinmar – anonym) et qui sont relativement courts. Même caractéristiques que pour les autres pièces et le chœur semble plus à l’aise ici avec le texte allemand. Chaque lied a sa propre ambiance, son atmosphère créée par l’écriture du compositeur. Aucune difficulté pour le chef et ses musiciens de passer de l’un à l’autre et de rentrer avec justesse dans cette musique. Enfin, la Messe, œuvre la plus longue du disque et certainement la plus complexe, est loin de la Messe de Stravinsky et Hindemith semble avoir choisi ici plus d’apaisement et de douceur. Usant toujours d’un contrepoint formidable, on apprécie la facilité avec laquelle le chœur chante l’œuvre. Aucun souci d’intonation, des respirations convaincantes et une force incroyable pour ce qui est de la direction prise par le chef. Pour un chœur mixte à capella, il s’agit de la dernière œuvre du compositeur et aussi de sa seule œuvre liturgique. Réelle évolution de son langage, on retrouve ici des accords parallèles et une écriture si complexe que les chanteurs à l’époque lui ont demandé d’écrire une autre messe plus facile qui ne verra malheureusement jamais le jour.
On l’aura compris, ce disque nous offre la possibilité de voir toute l’étendue du langage choral d’Hindemith, un langage qui peut perturber l’auditeur mais qui peut également le séduire pour un compositeur qu’on a tendance à oublier. Le chef anglais et professeur de direction chorale à Köln, Marcus Creed a su démontrer ici qu’Hindemith est un compositeur passionnant tant dans la musique vocale qu’instrumentale. Aborder une tel répertoire montre aussi la maturité du chef, nécessaire pour ce type d’œuvre.
Ayrton Desimpelaere

Son 10 – Livret 8 – Répertoire 10 – Interprétation 9

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