Décédé il y a 25 ans d'une tumeur au cerveau, Philippe Hirshhorn reste heureusement bien présent dans la mémoire et dans le coeur des mélomanes. Et les plus jeunes peuvent le découvrir au disque : son Premier Concerto pour violon de Niccolò Paganini avec lequel il remportait en 1967 (à 21 ans) le Concours Reine Elisabeth reste définitivement un moment de grâce. Cette année-là, la concurrence était rude et Gidon Kremer se classait troisième. Les deux jeunes Lettons avaient été envoyés à Bruxelles pour représenter le fleuron musical du régime soviétique.
Philippe Hirshhorn ne s'est pourtant jamais hissé parmi les quelques grands noms de la musique classique et son parcours en intrigue plus d'un.
PourMischa Maiksy, Hirshhorn était "l’un des plus grands musiciens" qu’il ait eu la chance de rencontrer : "Une sorte de puissance mystique et ensorcelante émanait de son jeu. Je n’ai ressenti cela chez personne d’autre. Il s’approchait de la perfection musicale à tel point que cela devait devenir angoissant, n’est-ce pas ? Essayer d’atteindre quelque chose d’inatteignable. C’est une source de tension énorme."
En 1967, le soir de la finale, Marcel Doisy (RTB) exprimait ainsi son émotion : "Hirshhorn est un musicien incroyable. Ici à Bruxelles, bien qu’entouré de nombreux virtuoses, il se distingue par son niveau exceptionnel. […] Une seule et unique note a suffi à ébranler la salle entière. Cet artiste se trouve littéralement au cœur de sa carrière."
Hirshhorn avait profondément impressionné tant le public que le jury. Sa technique fantastique, couplée à une sensibilité musicale et une puissance hors-normes, faisait l’unanimité. Et on retrouve cette approche, cette signature sonore unique et puissante sur les rares enregistrements qu’il nous a laissés.
Philippe Hirshhorn était pourtant d’une impitoyable sévérité envers lui-même. Dans le documentaire De Winnaars du réalisateur néerlandais Paul Cohen, Hirshhorn s’observe sur un vieux cliché pris juste après l’annonce de la décision du jury. Le visage du jeune homme, entouré par la foule, ne rayonne pas de joie. Se pointant du doigt, Hirshhorn déclare : "Vous voyez ? Quel drame. De la joie ? Non. De la mélancolie, c’est tout." Et un peu plus loin : "Quel frimeur, ce type… J’ai joué n’importe comment. D’une manière ou d’une autre, j’ai jeté de la poudre aux yeux du jury. Et j’ai gagné." Comme si le jury -qui comptait celle année-là David Oïstrakh, Yehudi Menuhin, Arthur Grumiaux et Theo Olof- lui avait attribué à tort ce Premier Prix...
Plus tard, il surprit parfois. Ainsi, il refusa de collaborer avec Herbert von Karajan et ses allures de demi-dieu : il ne pouvait s’identifier à l’approche de Karajan. Son refus en étonna plus d'un, tant ses admirateurs que ses détracteurs, car le nom et la renommée de Karajan rayonnaient aussi sur les solistes avec lesquels il travaillait.
Bien qu’il ait partagé la scène avec de grands orchestres -London Symphony Orchestra, Royal Philharmonic Orchestra, Wiener Symphoniker,...- Hirshhorn fut toujours de ceux qui œuvrent dans l’ombre. Entre 1989 et 1993, il rejoignit cependant le jury du Concours Reine Elisabeth pour violon. Et cet homme qui préférait l’enseignement à la scène partagea longtemps ses connaissances et son savoir-faire aux conservatoires d’Utrecht et de Bruxelles. Dès 1973, il s’était d’ailleurs installé à Bruxelles et avait obtenu la nationalité belge. Quant à son rôle de pédagogue, il l'évoquait avec beaucoup d'humilité: Évidemment, cela me permet de payer mes factures. Mais… c’est vraiment stimulant d’un point de vue intellectuel.
À Utrecht, Janine Jansen fut une de ses élèves. Le compositeur russe Victor Kissine avait reçu un jour un appel téléphonique d’Hirshhorn qui venait d’entendre la jeune violoniste et voulait partager son enthousiasme et sa surprise. Il la prit sous son aile alors qu'elle n'avait que 16 ans. Elle confie volontiers qu’elle lui doit en grande partie le lancement de sa carrière. Quand elle l'évoque, elle parle d'un "musicien électrisant", un professeur capable de mettre ses élèves sous haute tension. Et elle raconte qu'un jour, Hirshhorn lui demanda de jouer la même phrase de cinq manières différentes. Après un "Bien, tout cela se ressemble un peu. Maintenant, essaie de faire quelque chose de vraiment différent", elle fit une nouvelle tentative. Hirshhorn lui demanda alors de se laisser complètement aller : "Joue cette phrase de la manière dont tu la ressens vraiment".
Après le portrait intime et intrigant d’Hirshhorn,Paul Cohena réalisé en 2010 le film Janine, où la violoniste évoque sa vie et son travail. Ici aussi, l’éloge de son ancien professeur est en bonne place.
Philippe Hirshhorn et Janine Jansen ne se sont côtoyés que pendant deux ans : en 1996, Philippe Hirshhorn décédait d’une tumeur cérébrale à l’âge de 50 ans. Grâce à l’intervention de la Reine Fabiola, il est enterré au coeur du magnifique cimetière classé du Dieweg (Uccle), non loin d'Hergé, de l’architecte Paul Hankar et du peintre français Jacques-Louis David.