Les résultats confirment un fait déjà établi dans d’autres villes suisses et européennes, et dont beaucoup, à Genève, avaient l’intuition: la culture occupe une place prépondérante dans l’économie du canton. Que ce soit en termes d’emplois ou de valeur ajoutée -soit la différence entre le chiffre d’affaires et les achats nécessaires pour réaliser l’activité- le secteur s’inscrit en deuxième position, derrière la finance mais devant l’horlogerie ou la construction. Avec presque 4,6 milliards de francs de valeur ajoutée et plus de 6% des emplois dans le canton, il s’agit d’un secteur majeur de l’économie genevoise.
Grâce à cette démonstration quantifiée, voilà un outil précieux en matière de politique publique. Elle prouve l’importance des soutiens publics comme facteur de dynamisme en général et pour l’aide à l’entrée sur un marché en particulier, comme celui du livre ou du cinéma. Elle contribuera également à déterminer ce qui encourage ou, au contraire, freine le secteur. On sait par exemple qu’un des tout premiers moteurs, ce sont les locaux à prix abordable pour des artistes ou des personnes actives dans l’innovation. L’ECC comprend en effet une foule d’indépendants et de micro-entreprises.
Ce dernier élément ressort d’ailleurs clairement de l’examen du professeur Ramirez : davantage qu’ailleurs, les processus de production dans l’ECC sont principalement réalisés dans des entités de petite taille (associations, fondations, sociétés anonymes ou autres), comptant moins de 10 employés, pour beaucoup à temps partiel. La cohabitation de ces modestes organismes avec de plus grandes structures fait la preuve de l’impressionnante diversité du paysage culturel genevois, lequel est loin de s’inscrire uniquement dans le secteur subventionné: à côté des musées ou des théâtres, dont l’existence dépend essentiellement des contributions publiques, quantité d’architectes, de bijoutiers ou de designers pourvoient à la richesse du canton. Toutes les formes de créativité y sont représentées, et ce de manière professionnelle. Une créativité qui s’exprime bien sûr dans les arts, mais aussi dans la presse, l’enseignement, l’industrie du jeu, la préservation du patrimoine ou les agences de brevets.
Enfin, particularité de ce secteur en pleine expansion entre 2011 et 2014, le nombre d’emplois associés à la culture à Genève a augmenté de 2,9% contre 1,6% pour le reste de l’économie. Certains biens et services culturels génèrent ainsi des externalités positives, autrement dit un agrément dont on profite sans en avoir payé le coût, qui contribue au bien-être global, à la qualité du lien social et même à la santé de la population.
Reste maintenant à valoriser le contenu de cette étude qui a identifié un nouvel acteur dans le paysage économique genevois. Il faut décloisonner, mettre en commun les ressources de ce puzzle fort étoffé mais encore très segmenté, ouvrir le dialogue avec les instances économiques, faire reconnaître cette richesse et ce poids par le secteur créatif et culturel lui-même.
La culture en trois cercles et treize domaines
L’économie créative et culturelle n’est pas une notion standard. Elle englobe une large palette d’activités, qui varie selon les études et rend de ce fait délicate leur comparaison. L’analyse du professeur Ramirez a défini un champ propre à Genève, en prenant en compte les définitions de l’Office Fédéral de la culture et de l’Ocstat, ainsi que le champ d’intervention des pouvoirs publics genevois, à l’aide du répertoire des entreprises du canton. Le chercheur a organisé son cadre statistique autour de 13 domaines d’activité et de trois "cercles concentriques". Les premiers incluent musique, livres, arts plastiques, film/TV/radio, arts vivants, design/photographie/publicité, architecture, industrie du jeu et software, artisanat, presse, enseignement et formation, préservation et administration publique, divers autres (notamment organisation de congrès ou agences de brevets). Les trois cercles symbolisent les fonctions de l’ECC: au cœur réside la production artistique brute, comme le dessin, la danse et l’édition de livres; le deuxième cercle regroupe la diffusion et la commercialisation de ces biens, comme le commerce d’œuvres d’art, les services de réservation de tickets ou les ventes de journaux; la couronne extérieure comprend la gestion, l’administration et la formation, soit par exemple l’organisation de salons, les hautes écoles spécialisées ou la gestion des bibliothèques. Il est à noter que seuls la presse et les arts vivants s’inscrivent dans les trois cercles. En outre, le domaine «divers autres» est celui qui a le plus de poids, notamment en matière d’emploi."