Musique de La Grande Écurie, de la Renaissance à Louis XIV : fastueuse reconstitution

par

Fastes de la Grande Écurie. Œuvres de Lorenzo Allegri (c1573-1648), Michael Praetorius (1571-1621), Eustache Du Caurroy (1549-1609), Luigi Rossi (c1597-1653), Louis Couperin (1626-1661), François Roberday (1624-1680), André Danican Philidor (1652-1730), Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Charles Dezmazures (1669-1736)… Syntagma Amici & Giourdina. Adrien Reboisson, Marion Lemoal, Julián Rincón, hautbois baroques et Renaissance, flûtes à bec. Elsa Frank, Anabelle Guibeaud, Sophie Rebreyend, hautbois baroques et Renaissance, flûtes à bec, cromornes. Mélanie Flahaut, Jérémie Papasergio, bassons Renaissance et baroques, flûtes à bec, cromorne basse, flageolet. Eva Godard, Marie Garnier, cornets. Jean-François & Pierre-Yves Madeuf, Jean-Daniel Souchon, trompettes. Laurent Madeuf, trombone, basse de trompette. Rémi Lécorché, trombone, flûte à bec. Gabriel Rignol, guitare baroque. Marie-Ange Petit, Laurent Sauron, tambour, timbales. Juin 2021. Livret en français et anglais. TT 69’03. Ricercar RIC 439

Dans le livret, un Envoi signé de Jérôme Lejeune partage un rêve, « pouvoir entendre le son de cette fameuse bande des Grands Hautbois à douze musiciens » : un des ensembles attachés au corps de musique de la Grande Écurie, créé sous François Ier, et associé au faste monarchique. Tant le cérémonial que le divertissement. Grâce aux disponibilités permises par la léthargie de la vie artistique sous crise épidémique, le projet est devenu réalité et s’est concrétisé par cette session de juin 2021, captée à l’Auditorium du Conservatoire de Caen. Cet album ressuscite non seulement la bande des hautbois, mais aussi des troupes connexes comme les Fifres et Tambourins, et les Trompettes annexées au service du roi et officiant dans un contexte tant public que privé, jusqu’aux appartements et chapelles. 

Sous le terme générique de hautbois se cache une évolution organologique que détaillent l’érudite notice de Thomas Leconte et l’expertise de Jérémie Papasergio : depuis un anchophone qui s’apparentait plutôt aux bruyantes chalemies et bombardes. Les instruments utilisés pour l’enregistrement reflètent cette mutation de la facture et du diapason, de la Renaissance jusqu’au Grand Siècle versaillais influencé par les Hotteterre et Philidor, en passant par l’état intermédiaire du « cromorne ». La bande de hautbois comptait cornets et saqueboutes, et la polyvalence des musiciens leur faisait aussi toucher le violon ou la flûte, même si les exécutions mixtes de format cordes & vents sont peu probables.

À l’instar des anthologies Marches, Fêtes et Chasses royales de la Simphonie du Marais enregistrées en juillet 1994 (Jean-François Madeuf était déjà de la partie) ou L'Orchestre de Louis XIII proposé par Le Concert des Nations (Aliavox, 2002), le présent jalon redonne vie aux diverses guises d’apparat de l’Ancien Régime : processions, marches militaires, nuptiales ou funéraires, parades équestres et carrousels, festins. Mais aussi à d’autres expressions musicales moins ostentatoires et plus savantes, attestant l’émancipation des musiciens de l’Écurie au gré des concerts civils dans lesquelles ils s’impliquèrent au-delà de leur vocation de solennité événementielle. Quitte à influencer les compositeurs eux-mêmes, à l’instar de la Fantaisie sur le jeu de hautbois de Louis Couperin (collection Oldham) ou d’un Caprice de François Roberday « mis en partition pour l’orgue » et ici exécuté sur un consort de flûtes à bec.

Ce panorama du rayonnement aristocratique de la Cour française retrace donc une large variété de circonstances, et s’incarne dans un émérite panel de souffleurs qui conjoint les équipes de Giourdina et Syntagma Amici, déjà récemment remarqué dans le CD Fürchtet euch nicht chez le même label. Les noms alignés pour l’occasion (la fine fleur de la scène française des « hauts-instruments », mais aussi le jeune Gabriel Rignol à la guitare, les percussions de Marie-Ange Petit et Laurent Sauron) sont en soi gage d’excellence et promettent combien l’auditeur sera à la noce. Hormis une lecture faiblarde et peu mobile de la célèbre Bourée d’Avignon (façon Rossinante), l’attente se trouve quasi-constamment comblée. Par exemple dans les pages de l’oncle Couperin : la résonance des anches graves, quel chaudron de timbres !

Interprétation de premier choix, historiquement informée et charismatique. Livret et prise de son à l’avenant, même si l’acoustique (robuste, aérée et précise mais un peu courte) pourrait laisser préférer la réverbération d’un espace naturel, comme une salle de château. Point n’en manque en Normandie. On ne sera toutefois pas déçu par l’étonnant relief qui s’érige des moments les plus démonstratifs (la spectaculaire série des plages 14-19, qui culmine sur la Marche à 2 timballes !). Toutes les fées se sont penchées sur le berceau de ce disque qui remet les pendules à l’heure, pour longtemps probablement. Besoin d’en dire plus pour justifier un évident Joker Absolu ?

Son : 9,5 – Livret : 10 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 10

Christophe Sterne

 

 

 



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