Le Liszt aristocratique de Michel Dalberto

par

Franz Liszt (1811-1886) :  Once upon a time.  "Vallée d’Obermann" (extrait des Années de Pèlerinage, Première Année, Suisse) ; Paysage, Mazeppa, Ricordanza, Chasse-neige (extraits des Études d’exécution transcendante), Sonate en si mineur. Michel Dalberto (piano). 2022-Textes de présentation en français, anglais, allemand et japonais - La Dolce Volta  LDV105.

C’est un bien beau programme Liszt que nous présente Michel Dalberto, musicien intelligent et réfléchi qui confie toujours au disque des interprétations mûrement réfléchies. Nul doute cependant que l’approche du pianiste français risque de heurter de front ceux qui attendent ici quelque chose de ce côté sulfurique, voire diabolique, à quoi on ramène très -trop- souvent la musique du génial hongrois.

S’écartant de l’omniprésent Steinway, Dalberto opte ici pour un très beau piano de concert Bechstein D-282 qui montre bien l’évolution de l’esthétique de l’illustre maison allemande dont les instruments ne sont hélas que trop rarement à l’honneur dans nos salles de concerts. Si on retrouve avec plaisir les basses claires et les aigus transparents si typiques de ce facteur, le médium n’a plus cette exquise rondeur et cette douceur veloutée qu’on peut goûter dans les anciens enregistrements de Schnabel, Edwin Fischer ou Bolet. 

Prise dans un tempo allant, la Vallée d’Obermann qui ouvre le programme est construite avec autant de patience que de délicatesse par un interprète au vrai talent de conteur. Dans une approche qui rappelle beaucoup Brendel pour sa sobriété, Dalberto parvient  à nous donner un Liszt à la fois puissant et intellectuel, pensif et poétique.

Après cette belle réussite, la sélection d'Études s’ouvre sur un Paysage magnifiquement serein, alors que Mazeppa impressionne davantage par la maîtrise de l’interprète que par son abandon. L’épisode central (marqué il canto espressivo ed appassionato assai) est d’une remarquable délicatesse (et quelle main gauche).  Après une page d’octaves torrentielles, on savoure la délicatesse et la virtuosité de l’Animato, avant une fin  héroïque et péremptoire. 

La Ricordanza est abordée avec puissance et lyrisme, dans une interprétation sobre et sans affectation ni alanguissement indus. On admirera par ailleurs la magnifique articulation de Dalberto qui n’est pas de ces pianistes qui noient les difficultés par un usage immodéré de la pédale. Non, tout est ici d'une légèreté qu’on pourrait qualifier de mendelssohnienne alors que les guirlandes de notes ont une qualité à la fois poétique et distinguée, très proche de Chopin. 

Les amateurs de technique pianistique apprécieront certainement comme il se doit les superbes gammes chromatiques de Chasse-neige qui a rarement autant paru annoncer Debussy.

La Sonate de Liszt a connu un nombre incalculable d’enregistrements, mais Dalberto n’a aucun mal à s’inscrire ici parmi les meilleurs, même s’il se situe à l’opposé de la récente version de Benjamin Grosvenor (Decca), récemment distinguée par un Prix Caecilia. Là où le jeune pianiste britannique est vif, juvénile, spontané et impétueux, le virtuose français se montre plus maîtrisé et analytique (son son plus sec, avec des aigus qui claquent parfois comme chez un Horowitz, y est aussi pour quelque chose) et déploie, imperturbable, une intelligence aigüe mais sans froideur d’un bout à l’autre de l’oeuvre. Nous sommes ici face à un artiste qui fait preuve d’une maîtrise intellectuelle et pianistique rare, tout en se refusant -comme dans les grandes interprétations de Brendel ou de Pollini- à toute vaine et superficielle séduction . On apprécie sa parfaite gestion de la tension, son sens de la rhétorique lisztienne  comme l’ampleur de sa vision. Les épisodes lyriques sont d’une magnifique tenue qui évite tout épanchement indu. Pour être entièrement mise au service de la musique, la technique n’en impressionne pas moins :  trilles parfaits, aigus cristallins, accords puissants (et quelles octaves). La vision sobre et décantée de Dalberto -où l’on cherchera en vain le grain de folie que pouvait mettre un Cziffra dans ce répertoire-  fera peut-être dire à certains que nous tenons ici une version qu’on admire plus qu’on ne l’aime, mais il est impossible de ne pas s’incliner devant la très grande classe et la hauteur de vue de ce que nous offre ici un pianiste au sommet de son art. 

Son: 10 - Livret: 10 - Répertoire: 10 - Interprétation: 10

Patrice Lieberman

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