Le madrigal à son apogée, trois nouvelles parutions

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Carlo Gesualdo (1566-1613) : Primo Libro di Madrigali a cinque Voci ; Gagliarda del Principe di Venosa ; Come vivi, cor moi ; All’ombra degli allori. La Compagnia del Madrigale. Rossana Bertini, Francesca Cassinari, sopranos ; Elena Carzaniga, alto ; Giuseppe Maletto, Raffaele Giordani, ténors ; Daniele Carnovich, Matteo Bellotto, basses. La Chimera. Eduardo Egüez, luth. Margherita Pupulin, violon. Sabina Colonna Preti, Lixsania Fernandez, Maria Alejandra Saturno, Xurxo Varela, violes de gambe. Livret en anglais, français, italien, allemand ; paroles des chants en italien et traduction en anglais. Août 2019 à juillet 2020. TT 58’21. Glossa GCD 922811

Claudio Monteverdi (1567-1643) : Il Quarto Libro de Madrigali a cinque voci. Collegium Vocale Gent, Philippe Herreweghe. Miriam Allan, soprano ; Barbora Kabátková, mezzo-soprano ; Alex Potter, contre-ténor ; Benedict Hymas, Tore Tom Denys, ténors ; Jimmy Holliday, basse ; Michele Pasotti, luth, chitarrone. Livret en anglais, français, allemand, flamand ; paroles des chants en italien et traduction en anglais, français et allemand. Juin 2021. TT 57’00. Phi LPH037

Utopia. Luca Marenzio (1553-1599) : Scendi dal paradisio ; Solo e pensoso ; Così nel moi parlar. Giaches de Wert (1535-1596) : Ah dolente partita. Michelangelo Rossi (1602-1656) : Moribondo moi pianto ; Ciechi desir. Carlo Gesualdo (1566-1613) : Se la mia morte brami ; S’io non miro. Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1611) : Toccata 6ta. Bastien David (*1990) : Umbilicus rupestris. Domenico Mazzocchi (1592-1665) : Ahi, chi m’aita. Pomponio Nenna (1556-1622) : L’amoroso veleno. Girolamo Conversi ( ?-1575) : Zefiro torna. La Main harmonique, dir. Frédéric Bétous. Nadia Lavoyer, Amandine Trenc, soprano. Frédéric Bétous, alto. Guillaume Guttiérez, Loïc Paulin, ténor. Marc Busnel, basse. Ulrik Gaston Larsen, archiluth. Avec Judith Derouin, mezzo-soprano. Laurent David, ténor. Livret en français, anglais ; paroles en langue originale traduite en français et anglais. Novembre 2020. TT 50’25. Ligia Lidi 0202355-21

À l’occasion d’un remarquable album monteverdien, nos colonnes du 22 novembre 2021 évoquaient la généalogie de La Compagnia del Madrigale. L’équipe compte trois membres historiques du Concerto Italiano de Rinaldo Alessandrini dont Daniele Carnovich, disparu quelques semaines après la dernière session pour cet album, et que l’on retrouve ici avec émotion dans Baci soavi e cari et Madonna, io ben vorrei. Le présent CD, se consacre au Primo Libro rédigé entre les années 1580 et 1594, date de sa dédicace. Si l’on considère que la Compagnia dérive de La Venexiana, regroupant mutatis mutandis les mêmes chanteurs, voici bouclée une intégrale des six Livres à cinq voix.

Vivacité des traits, fluidité lissant la découpe syllabique du flux musical, luminosité du dessin : les qualités interprétatives correspondent parfaitement au cahier des charges de ces seize madrigaux qui n‘explorent pas encore les futures audaces chromatiques du Principe di Venosa et sont ici présentés sous leur jour le plus avenant. Dans ces textes d’amour et de mort, les blessures en ressortent transcendées, tant les mots butinent comme l’abeille sur la bouche de la dame, dans les vers du Tasse. À considérer les alternatives discographiques, rarement drames et langueurs auront été tissées d’une étoffe aussi impeccable et surtout aussi radieuse. On retrouve ce bonheur d’expression dans les deux canzonettas qui complètent le programme, également abondé par la célèbre Gagliarda confiée au luth et aux archets de La Chimera. Un disque idéal pour s’initier à la première floraison de la lyrique profane du prince assassin.

« Mettre de la musique sur de bons vers, c’est éclairer un tableau de peinture par un vitrail de cathédrale. La musique belle par transparence, et la poésie par réflexion » écrivait Paul Valéry. Cette pensée, et la dialectique entre mots et notes, nous reviennent à l’esprit en écoutant cette interprétation du Livre IV des Madrigaux monteverdiens, publié en 1603 à Venise. La notice remarquablement synthétique de Jorge Morales rappelle la transition vers la seconda pratica, la polyphonie apprivoisée vers une représentation sonore de la parole, et vecteur d’un contenu affectif. Hélas, l’approche diaphane et éthérée du Collegium Vocale jette un éclairage bien plat et terne sur ces textes torturés, et en aplanit tout relief expressif. On espérait liqueur en gorgées, voilà une mare d’eau distillée.

Enchainer l’audition de Voi pur da me partite, anima dura, A un giro sol de’bell’occhi lucenti puis Ohimè, se tanto amate (plages 10-12) rançonne un redoutable ennui. L’improbable triomphe de Morphée. Qui est ambiant. La paresse rôde et contamine. L’album se referme sur un Piagn’e sospira e quand’ i caldi raggi où les émouvants vers du Tasse achèvent de s’abandonner à l’atone. À l’instar du précédent opus de ce label, consacré aux madrigaux gesualdiens, dont on pourrait emprunter nos mêmes qualificatifs pour décrire la présente expérience, l’ensemble gantois se prête à une esthétique subtile et lustrée où le drame périt sous une émolliente méticulosité. Explorer ces tableaux au microscope, les guider mollement, uniformément, conduit à nous présenter une flasque mosaïque où la finesse des couleurs ne pallie pas le défaut d’éloquence. Comment ne pas regretter combien les incontestables talents individuels de l’équipe se plient ici à une entreprise qui contrecarre la flamme attendue de ces poèmes de blessure et de brûlure ? Quel dommage que tant de gracilité fossoie la vie de ces pages !

Après une discographie consacrée depuis une dizaine d’années à Johannes Ockeghem & Loyset Compère (Musique au temps d’Anne de France), à la reconstitution d’un office sous le pontificat de Clément VI (Clemens Deux Artifex), aux Sacrae Cantiones de Carlo Gesualdo, l’ensemble La Main harmonique nous revient avec un album sous-titré « la fantaisie des madrigaux de la Renaissance tardive ». Y sont sélectionnées des pièces parues entre 1584 (Scendi dal paradisio de Marenzio) et 1638 (Domenico Mazzocchi). Une époque charnière marquée par l’avènement de la seconda pratica : faire des paroles la maîtresse de l’harmonie et non leur servante, selon Giulio Cesare Monteverdi qui en 1607 avait pris la défense de son célèbre frère, absent de ce disque.

Au-delà de notoires représentants en amont de cette période, tels Luca Marenzio et Giaches de Wert, au-delà de fiers représentants de l’expérimentation chromatique (extraits des deux derniers Livres de Gesualdo, l’âcre Moribondo moi pianto de Michelangelo Rossi), le CD se penche aussi sur des noms moins connus comme Pomponio Nenna. On comprend qu’un Giulio Caccini (1551-1618), promoteur de la monodie accompagnée, soit absent de ce programme polyphonique, qui aurait pu en revanche inclure par exemple des Madrigali de Luzzasco Luzzaschi (1545-1607). Car la durée de ce florilège s’avère un peu brève, et se réduit à moins de quarante minutes si l’on excepte la parenthèse instrumentale (une Toccata de Kapsberger) et l’incursion contemporaine. En l’occurrence Umbilicus rupestris, désignant une plante saxicole ou chasmophile, communément appelée « nombril de Vénus ». Un hommage au lexique amoureux des madrigaux ? Dépourvu de texte toutefois, comme on le vérifie dès l’introduction, entre bourdonnement d’insecte et vibration stertoreuse.

Capté au château gersois de Flamarens (Gers) où La Main harmonique est en résidence, ce récital s’inscrit dans une acoustique courte, sèche et prosaïque, de nature à exposer le moindre défaut de cohésion ou de justesse, sans secours de réverbération. Le contraste et l’âpreté de la diction s’en trouvent certes renforcés. Jusqu’à l’ingratitude ? Les oreilles en quête d’une prestation flatteuse encourent la déception.

Glossa : Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10

Phi : Son : 7 – Livret : 8 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 6

Ligia : Son : 6 – Livret : 9 – Répertoire : 5-10 – Interprétation : 7

Christophe Steyne

 

 

 



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