Wiliiam Walton et Edith Sitwell : Façade et le nonsense

par

William Walton (1902-1983). The Complete Façades. Façade : an Entertainment ; Façade 2 : A Further Entertainment ; Façade : Additionnal Numbers. Hila Plitmann, Fred Child, Kevin Deas, récitants. Virginia Arts Festival Chamber Players, direction JoAnn Falletta. 2021. Notice en anglais. Texte complet des poèmes en anglais. 53.59. Naxos 8.574378.

Que serait devenu William Walton sans la rencontre avec la famille Sitwell, à l’aube de sa vingtième année ? Originaire du Lancashire, né de deux parents chanteurs de profession, le jeune William est choriste à la Christ Church d’Oxford et s’exerce à la composition de petites pièces vocales. Mais il n’arrive pas à concrétiser ses études par un diplôme. Ce qui ne l’empêche pas d’être pris en amitié par la famille Sitwell, qui baigne dans le milieu littéraire. Le père Sitwell est baronnet, la mère est la fille d’un comte. Trois enfants naissent de cette union : Edith, l’aînée (1887-1964), Francis Osbert (1892-1969), et Sacheverell (1897-1988). Ils deviendront tous trois écrivains. Edith connaît une enfance malheureuse : elle est victime des nombreux accès de rage de sa mère et son père l’oblige à porter un corset de fer sous le prétexte d’une déformation de la colonne vertébrale. Elle aura toujours pour ses parents une attitude de rejet et de rancune tenace. Malgré quelques liaisons passionnées, elle ne se mariera jamais.

Le jeune Walton est soutenu par les enfants Sitwell et accueilli régulièrement dans leur logis à la fin de son adolescence ; il y fera des séjours pendant près de quinze ans. De son côté, dès 1913, Edith publie des poèmes de tendance abstraite. Elle en écrira bien d’autres (Britten mettra en musique en 1955 Canticle III : Still falls The Rain), des biographies (sur Elizabeth Ière et sur la Reine Victoria) et un ouvrage intitulé The English eccentrics (1933). Excentrique ! Voilà un terme qui lui est souvent attribué, en raison de son écriture poétique originale, mais aussi de son style vestimentaire. Elle propose en 1921 une collaboration à Walton, qui a entamé modestement sa carrière de compositeur, comme un autodidacte. Pour Walton, c’est une vraie chance de se faire connaître. 

Le divertissement Façade voit le jour en 1922, est d’abord joué en privé, puis en public l’année suivante. Sous une forme des plus provocantes : cette partition pour récitant et petit ensemble instrumental est basée sur des poèmes écrits par Edith Sitwell, qui les récite elle-même, cachée derrière un rideau de scène, troué en son milieu, ce qui permet à l’interprète d’utiliser un mégaphone pour se faire entendre. Le scandale est au rendez-vous. Car les 21 textes d’Edith, s’ils ne sont pas absurdes, relèvent du « nonsense », du paradoxe et de la dérision, et ne revêtent pas une signification particulière. Même si plusieurs d’entre eux sont liés à des souvenirs d’enfance, comme Marriner Man, qui évoque un valet de chambre et Tarantella, un jardinier, Black Mrs Behemoth, souvenir pénible des accès de la colère maternelle, ou Fox-Trot ‘Old Sir Faulk’, écho du père de deux amies d’Edith Sitwell. 

En réalité, cette plongée dans la fantaisie, mélange de Commedia dell’arte, de badinage, d’esprit espiègle, où le travail sur la couleur des mots et leurs consonances, liaisons comprises, est délectable, à tel point que, même en l’absence d’une traduction française (ce qui est le cas dans le présent album Naxos), on se laisse prendre par le rythme balancé de la poésie et son illustration musicale. Edith Sitwell et Walton connaissaient les œuvres de Strawinsky, comme L’Histoire du Soldat ou Renard. Le futur compositeur en avait étudié les partitions lors de ses études universitaires non abouties. L’esprit de Façade en est proche, Walton ayant réussi avec subtilité à donner aux textes un caractère mélodique constant, la flûte, la clarinette, le saxophone alto, la trompette, le violoncelle ou la percussion jouant un rôle significatif, efficace et inspiré pour donner du sens au nonsense. Plus de cinquante ans après, Walton ajoutera huit numéros pour un « divertissement supplémentaire » et quatre « numéros additionnels ». C’est l’intégrale que l’on découvre ici, les derniers poèmes faisant l’objet d’une première discographique mondiale. 

Edith Sitwell a elle-même enregistré, dès 1929, des extraits de Façade avec Constant Lambert. Avec un satirique Peter Pears et l’English Opera Group Ensemble dirigé par Anthony Collins, elle a ensuite gravé les 21 poèmes de Façade 1, dans un style inénarrable, reflet incontournable de cette personnalité et de son humour (Decca, 1954). C’est à connaître, absolument. Walton lui-même l’enregistrera pour Argo en 1972, avec des membres du London Sinfonietta, Peggy Ashcroft et Paul Scofield étant les récitants. D’autres versions existent. On mettra en évidence celle de 1990 avec, pour les textes, Susana, l’épouse de Walton, et Richard Baker, Richard Hickox dirigeant les musiciens (Chandos), ou celle de 2007, avec Carole Boyd et Zeb Soanes, John Wilson menant la partie instrumentale (Orchid Classics). 

Pour cette version intégrale chez Naxos, trois récitants sont sollicités, JoAnn Falletta conduisant, avec la dose de fantaisie requise, les solistes du Virginia Arts Festival. La soprano israélienne Hila Plitmann, l’animateur de radio Fred Child et le baryton-basse Kevin Deas (connu pour son investissement dans Porgy and Bess), sont tout à fait convaincants dans ces bien plaisantes Façades. A noter, le portrait, en couverture, d’Edith Sitwell par le peintre Roger Fry. Il date de 1915 : ce n’est pas loin de l’aventure de Façade.  

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 9

Jean Lacroix 



Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.