Le retour de Marie-Antoinette à Versailles, avec le Malandain Ballet Biarritz
L’Opéra royal de Versailles redonne, pour quatre représentations, le ballet Marie-Antoinette, du chorégraphe Thierry Malandain. Un spectacle puissant et puisant directement à la source du lieu.
Nom de famille : Malandain. Prénom : Thierry. Profession : chorégraphe et directeur du Centre Chorégraphique national de Biarritz depuis 1998. Cet article ne vous intente pas de procès. Il vient juger du spectacle que vous avez créé en 2019, à l’Opéra royal de Versailles, et qui s’y redonne actuellement. Qu’avez-vous voulu dire avec ce ballet ? Pourquoi un tel sujet en un tel lieu ? Seriez-vous un peu malandrin, vaurien, faquin, coquin, galopin, boute-en-train ou encore Arlequin ?
Les questions se bousculent, auxquelles vous répondez… sans paroles mais avec un body langage éloquent, véhiculé par les vingt-quatre danseurs de votre compagnie, le Malandain Ballet Biarritz. En quatorze tableaux vous retracez différentes étapes de la vie de « l’Autrichienne », du banquet de noces, le 16 mai 1770, à la marche des Parisiennes vers Versailles, le 5 octobre 1789. Vous avez opté pour des événements s'étant déroulés in situ. Vouliez-vous faire ressortir la notion d’enfermement, inhérente à la vie de Marie-Antoinette ? Un choix plutôt pertinent, quand on sait que le banquet de noces se tint sur la scène de l’Opéra royal, là même où les spectateurs assistent actuellement à votre spectacle. Qu'on y donna Persée, sur cette même scène, le lendemain du mariage, après une bien piteuse nuit de noces. Que cela vous permet d'évoquer la liaison entre Louis XV et la du Barry, la rencontre entre la future reine et la maîtresse royale en titre ou encore le caractère pusillanime et immature de Marie-Antoinette, en même temps que ses qualités avérées de mère éducatrice et aimante.
On sent votre spectacle imprégné du livre, magnifique, de Stefan Zweig, Marie-Antoinette, portrait d'une femme ordinaire. Vous ne jugez pas, vous contentant de mettre en tableaux dansés la vie d'une héroïne tragique. Pour ce faire, vous convoquez intelligemment quatre symphonies de Joseph Haydn, contemporaines des événements : Le Matin, Le Midi, La Chasse et Le Soir, ainsi que la Danse des esprits bienheureux de Gluck, à la harpe seule, pour un magnifique instant suspendu consacré aux joies de la parentalité. Dans la fosse, on retrouve l'orchestre de l'Opéra royal, mené par son premier violon, le Polonais Stefan Plewniak. Il y aurait à redire sur l'équilibre orchestral, avec ses cordes trop écrasantes, au détriment des bois et notamment d'un basson vraiment trop léger, même si placé au plus près du public, du côté des contrebasses. Malgré tout, la qualité d'ensemble est bonne et porte efficacement les danseurs.
Sur scène, le spectacle tient en haleine. Les costumes et les décors de Jorge Gallardo sont superbes, sobres et évocateurs. Si les tenues sont blanches et simples, pour le Festin royal et la Nuit de noces, les cinq danseurs figurant la comédie-ballet Persée sont vêtus d’élégantes tenues antiques noires. Marie-Antoinette, Louis XVI et la cour sont dans des tons pastel, quand Louis XV et la du Barry tranchent par leurs couleurs vives, vert de Sèvres pour lui et rouge carmin pour elle, pour un duo d’amour d’une grande sensualité finement suggérée. Avec votre capacité unique à saisir les dynamiques internes des morceaux de musique pour les traduire en gestes chorégraphiques au service de l’histoire, c’est un spectacle d’une grande esthétique et d’une grande clarté de compréhension qui se déroule sous les yeux du public.
Vous rappelez, avec ce Marie-Antoinette, que l’art peut être apolitique et se faire l’éloge du beau. C’est à chérir avec gratitude.
Versailles, Opéra royal, 6 mars 2025
Claire de Castellane
Crédits photographiques : ©Houeix