L'élégance de l'aventurier

par
Castaldi

Bellerofonte CASTALDI
(c.1580 - 1649)
Oeuvres vocales et instrumentales
Guillemette LAURENS (soprano), Le Poème Harmonique, dir.: Vincent DUMESTRE
1998/2016-DDD-64'22-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Alpha 320

Ce disque de 1998 est presque historique. Il est tout à la fois le premier du Poème harmonique et le premier également du catalogue Alpha, aujourd'hui réédité au sein d'une ample rétrospective. Dans la notice d'accompagnement, Vincent Dumestre souligne ce qui fut son credo en enregistrant ce cd et qui est resté le sien depuis lors: découvrir et faire connaître des répertoires restés jusqu'alors dans l'ombre et « qui donnent [...] les clés de styles réduits par commodité à quelques noms d'oeuvres et de compositeurs ». A propos de l'art de Bellerofonte Castaldi, il parle de choc; nous ne pouvons qu'abonder dans son sens. Le personnage tout d'abord. Comme quoi la musique n'adoucit pas toujours les moeurs, Castaldi suivit les pas, si l'on ose dire, de Carlo Gesualdo puisque, jeune et inconnu encore, il entama sa carrière par l'assassinat du meurtrier de son frère, dans la plus pure tradition de la vendetta à l'italienne. Il n'eut pas tout à fait le même destin que son illustre aîné mais son sort ne fut guère plus enviable car, chassé de Modène, il passa le restant de sa vie à se cacher, à être chassé des villes où il prenait refuge et, à l'occasion, à faire de la prison car il fut, tout au long de son assez longue existence, un esprit libre et turbulent... Cette vie de pérégrinations et d'aventures a laissé son empreinte dans sa musique mais aussi sa poésie car il lui arrivait d'écrire lui-même les textes de ses oeuvres. Tous les sentiments humains s'y côtoient, de l'introspection douloureuse de Dolci miei martiri à la verve pleine d'amusement de Chi vidde piu lieto. Le disque alterne avec bonheur pièces instrumentales d'une grande délicatesse et pages chantées. Ces dernières sont servies avec grâce et talent par Guillemette Laurens, parfaite comme toujours. A la réflexion, et comme le signale une nouvelle fois le maître d'oeuvre dans son texte, « il embrasse quasiment tout le spectre des langages musicaux connus en Italie à son époque ». Ce disque est un enchantement permanent qui commence par un étonnant Arpeggiata a moi modo, effectivement constitué presque intégralement d'arpèges, ce qui lui donne un caractère mouvant et vaporeux. La dernière pièce, une scène intitulée La lettera d'Heleazaria heb. A Tito Vespasiano, la plus développée du programme, rappelle le célèbre Lamento d'Arianna de Monteverdi et se révèle un chef-d'oeuvre que n'aurait pas dédaigné le compositeur de l'Orfeo. Les interprètes, avec leur finesse et leur intelligence coutumières, se fondent avec naturel dans cet art original. Un disque évidemment indispensable pour tous ceux intéressés par la période charnière entre Renaissance et Baroque dans l'Italie de la première moitié du 17ème siècle.
Bernard Postiau

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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