L'enfer stalinien en habit de soirée

par

Dimitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975)
Symphonie n° 6 op. 54
Piotr Ilitch TCHAIKOVSKI (1840-1893)
Symphonie n° 6 op. 74
Orchestre de la Radio Bavaroise, dir.: Mariss Jansons
2014-DDD-75'25-Textes de présentation en anglais et allemand-BR Klassik 900123

Quelle pitié! Quand cessera-t-on de gaspiller les moyens exceptionnels des grandes phalanges telles que l'orchestre de la radio bavaroise pour des interprétations si contestables commises par des chefs que la raréfaction accélérée de la profession propulse de plus en plus sans fondement aux sommets? Ce disque en est un nouvel exemple. Mariss Jansons est incontestablement un meneur d'orchestre mais – grands Dieux! – que de milliers de verstes le séparent de l'univers de Chostakovitch. Non, l'auteur des 15 symphonies n'a pas écrit de la musique propre et gentille. Même dans l'apparemment condescendante 6e, les hurlements, les coups de faux cinglent avec une violence que seuls, vraisemblablement, les ensembles russes peuvent rendre avec toute la sauvagerie nécessaire. Ici, les noeuds papillon sont impeccables, la barre de mesure respectée avec une dévotion coupable, les sonorités sont belles comme rubis et émeraudes mais que vient faire ici tout ce decorum dans l'enfer de l'angoisse stalinienne? Bien sûr, le premier degré de cette musique est un enthousiasme bon enfant de circonstance. Mais on sait depuis longtemps que le vrai message est ailleurs. On a du mal à croire que Jansons ait pu à ce point oublier les circonstances de la composition de pages telles que celle-ci, lui dont le père, Arvid, même s'il avait été largement favorisé par le régime, en avait néanmoins connu les périodes les plus difficiles. Ici, tout est optimiste sans arrière-pensée, grand guignol à profusion et, qui plus est, dans la mauvaise langue: dans le dernier mouvement, notamment, l'Oktoberfest münichoise n'est jamais loin. Et la Pathétique? A priori, notre chef letton y court moins de dangers: au contraire de Chostakovitch avec les autorités soviétiques, Tchaikovski n'a jamais baigné dans les affres de la répression impériale. Le drame, dans cet ultime opus 74, est intime; la tragédie est celle d'un individu, pas celle d'un peuple. Et pourtant, une fois encore, Jansons fait chou blanc. Où sont passés le pathos, la sensation de drame imminent, où se sont enfuis les extrêmes, l'excessif de l'âme russe? Quelques éclats, beaucoup de mièvrerie, bien des effets de manche, le tout revêtu d'une opulente palette sonore ne donnent pas le change. A quand des cours destinés aux futurs chefs, des cours sans professeur mais où l'on passerait en boucle l'enseignement sonore des Golovanov, Kondrachine, Svetlanov, Samosud, Gauk, Nebolssine, Mravinsky, Melik-Pachaiev, Khaikin, Eliasberg, pour ne rester que dans la partie russe du cursus? L'authenticité, le respect de la tradition, celui de l'atmosphère psychologique de la partition, y retrouveraient enfin, peut-être, leur réalité, leur fraîcheur, leur jeunesse auprès des nouveaux prétendants et tout le monde, enfin, retrouverait le miracle de la musique, son incomparable magie, sa capacité à parler directement au coeur, à consoler de toutes les tristesses. Pour l'instant, oublions vite ce double pesant pensum pour nous replonger dans les tempêtes de Kondrachine ou Mravinsky pour Chostakovitch, de Fricsay et Mravinsky encore pour Tchaikovski.
Bernard Postiau

Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 4

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