Leonardo García Alarcòn signe un éblouissant Solomon de Handel

George Frideric Handel (1685-1759) : Solomon, oratorio en trois actes HWV 67. Christopher Lowrey (Solomon) ; Ana Maria Labin (Reine de Saba, Première femme) ; Gwendoline Blondeel (Fille de Pharaon, épouse de Solomon, Seconde femme), Matthew Newlin (Zadok le grand-prêtre) ; Andreas Wolf (Un Lévite) ; Chœur de chambre de Namur ; Millenium Orchestra, direction Leonardo García Alarcòn 2022. Notice en anglais et en français. Texte intégral en anglais avec traduction française. 152’ 08’’. Un coffret de deux CD Ricercar RIC 449.
On a du mal à imaginer que l’oratorio sur un thème biblique Solomon de Handel, dont le livret est de signature anonyme, n’a connu qu’un succès modeste (un tout petit nombre de représentations) lorsqu’il a été joué en mai 1749, peu de temps après les fastes des Fireworks. Aujourd’hui, reconnu comme l’une des œuvres les plus remarquables de la production du compositeur, il nous éblouit par son caractère grandiose tout autant que par la noblesse de son propos. Découpé en trois actes, on assiste, dans le premier, à l’éloge du souverain pour l’édification du temple et à son bonheur conjugal. Le célèbre épisode du jugement, au cours duquel deux prostituées se disputent la maternité d’un nourrisson, l’une d’elles obtenant la reconnaissance de sa bonne foi en proposant de le confier à sa rivale, met en lumière, à l’Acte II, la sagesse du roi, devenue mythique. Le dernier volet est consacré à la visite fastueuse de la Reine de Saba, pleine de louanges pour Solomon. Des thèmes qui, comme l’a écrit Romain Rolland, invitent à « une grande fête musicale, rayonnante de poésie et de joie ». A cela, viennent s’ajouter un vif sentiment pour la nature et une mise en évidence des potentialités des valeurs humaines. Personne ne se trompera non plus sur une forme de respect et de glorification pour l’Angleterre et son souverain George II.
Dans la biographie qu’il a consacrée à Handel, Jean Gallois attirait l’attention sur le côté paradoxal de Solomon démontrant la munificence par la décantation, la puissance par la sobriété des moyens, la pureté des lignes, la transparence, la simplicité des formes naturelles (Seuil, Solfèges n° 39, 1980, p. 159). On ne pourrait mieux dire après avoir écouté cette splendide partition qui passionne d’un bout à l’autre, avec sa variété de registres et son inspiration musicale qui traduit la douceur, la vérité, la sagesse, la justice, la noblesse méditative, l’exaltation d’un amour parfait, piété et gloire mêlées. C’est tout cela que la vision de Leonardo García Alarcón exalte dans un geste ample, plein de maîtrise et de densité. Comme nous l’avons déjà souligné pour deux autres parutions du même chef chez Ricercar (Samson, le 17 août 2020, et Sémélé, le 23 février 2022, tous deux Joker Millésime de Crescendo), on salue chaque pupitre de ce Milllenium Orchestra, investi et attentif à toutes les nuances, ainsi que toutes les interventions du Choeur de Chambre de Namur, toujours aussi impeccable en termes de précision et de dynamisme (il suffit d’écouter l’air d’entrée des prêtres Your harps and cymbals sounds, ou Praise the Lord, à l’Acte III, pour s’en convaincre).
À l’occasion de cet enregistrement public effectué le 28 juillet 2022 au Grand Manège de Namur, avec les petits aléas sonores de l’exercice, Alarcòn a bénéficié d’un plateau vocal dont la qualité est sidérante. Certains chanteurs ont déjà participé à la réussite de Samson et/ou de Sémélé. On mettra en toute première place une fascinante Ana Maria Labin : cette soprano roumaine, qui a grandi en Suisse, incarne aussi bien la théâtralité somptueuse de la Reine de Saba (Will the sun forget to streak) que le désespoir de la mère prête à se sacrifier (Can I see my infant gor’d). Cette double incarnation, aux antipodes l’une de l’autre, révèle tout le potentiel de la cantatrice. Le contre-ténor américain Christopher Lowrey est un Solomon tel qu’il doit être : souverain comme son rôle le réclame (What though I trace), avec un sens équilibré du phrasé et une vraie noblesse de ton. La remarquable soprano Gwendoline Blondeel, lauréate de l’académie de la Monnaie depuis 2020, est tout autant une aimante et émouvante épouse du Roi qu’une prostituée sournoise et cruelle, proche de la bassesse (Thy sentence, great King). Le ténor Matthew Newlin, lui aussi américain, qui a été le Samson d’Alarcón, timbre assuré et vaillance affirmée, est un excellent prêtre Zakok (Sacred raptures). Les brèves interventions du Lévite sont servies avec justesse par la basse Andreas Wolf.
On l’aura compris : voici une nouvelle réussite exemplaire, marquée d’une pierre blanche, à mettre à l’actif de Leonardo García Alarcón et de ses complices musicaux. On n’en négligera pas pour cela les autres valeurs sûres que sont John Eliot Gardiner (Philips), Paul Mc Creesh (Archiv, avec Andreas Scholl) ou Nicholas Mc Gegan (Carus), pour ne citer qu’eux dans une discographie florissante. Mais le présent enregistrement se situe sur le tout premier rayon.
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix