Les ballets de Lord Berners ? A son image : légers, trop légers…

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Lord Berners (1883-1950) : Fanfare. Les Sirènes, ballet. Cupidon et Psyché, suite de ballet. Miriam Blennerhassett, mezzo-soprano ; Voix du RTÉ Chamber Choir ; Royal Ballet Sinfonia, direction Gavin Sutherland ; RTÉ Sinfonietta, direction David Lloyd-Jones. 1994 et 1999. Notice en anglais. 60.40. Naxos 8.574370.

Lord Berners, ou plus précisément Sir Gerald Hugh Tyrwhitt-Wilson, quatorzième baron Berners, est un personnage étonnant. Elevé dans un milieu aristocratique aisé, il est formé au collège élitiste d’Eton et fait carrière dans la diplomatie, d’abord à Constantinople, puis à Rome pendant la décennie 1910. Avant cela, il voyage, fait des séjours en France et en Allemagne, étudie la musique à Dresde et à Vienne. Une fois son titre de noblesse officialisé en 1918, il rentre en Angleterre et participe à la vie mondaine et artistique. Il travaille la composition avec Ralph Vaughan William, bénéficie des conseils d’Igor Stravinsky et d’Alfredo Casella et se lie d’amitié avec William Walton, Georges Bernard Shaw ou H.G. Wells. Lord Berners a plusieurs cordes à son arc : il rédige des romans humoristiques et satiriques dans lesquels il met ses amis en scène ainsi que des textes autobiographiques, et s’adonne à la peinture. Tenté par la composition et l’avant-gardisme, il commence par écrire des chansons en plusieurs langues, dont le français, et des pièces pour le piano. Il se lance dans l’aventure de l’opéra-comique : Le Carrosse du Saint-Sacrement, d’après Mérimée, est créé avec succès à Paris au Théâtre des Champs-Elysées en 1924. Cet excentrique est un grand amateur de blagues en tous genres. L’intérieur de sa confortable maison de country gentleman en est tapissé et il en fait « profiter » son entourage. Ce goût se prolonge dans l’intitulé de certaines de ses œuvres, comme Dispute entre le papillon et le canard ou Pour une tante à héritage, ce qui lui vaudra le surnom un peu surfait de « Satie anglais ». Ses dons musicaux sont réels, mais inégaux : son brillant ballet de 1926, Le Triomphe de Neptune (Naxos 8.555222), est monté à Londres par les Ballets Russes de Diaghilev. D’autres vont suivre, en collaboration avec le chorégraphe Frederick Ashton (1904-1988) et son ami Constant Lambert (1905-1951) comme directeur musical : A Wedding Bouquet (Naxos 8.555223) en 1936, sur un livret de Gertrude Stein, Cupidon et Psyché en 1938 et Les Sirènes en 1946. Lord Berners est aussi tenté par la musique de films pendant la Seconde Guerre mondiale. Après celle-ci, il devient dépressif ; il ne composera plus rien pendant les quatre années qui précèdent son décès, survenu à Londres.

La réédition de cet album Naxos vient compléter les deux déjà cités, parus chez Marco Polo à la fin du siècle dernier, rendant ainsi hommage à ce personnage original dont la musique, fantaisiste, légère et des plus accessibles, mérite un moment d’attention. Elle n’est pas celle d’un amateur, plutôt d’un homme cultivé et habile mais sans génie, qui sait inventer une mélodie facile, la faire évoluer avec finesse, charme et élégance. A cet égard, ses ballets témoignent de légèreté. L’album s’ouvre par une très brève et pimpante Fanfare de 1931, d’une durée d’une trentaine de secondes, destinée à un concert pour la fête de Sainte-Cécile à l’Albert Hall de Londres. Le Royal Ballet Sinfonia est mené, pour cette gravure de septembre 1999, par Gavin Sutherland (°1972). Cette Fanfare se présente ici comme un portique solennel pour Les Sirènes, dont Frederick Ashton puise l’argument dans l’oeuvre de Ouida, nom de plume de la romancière anglaise Maria Louise de la Ramée (1838-1908). Le ballet se déroule dans un univers marin, sur une plage française, où interviennent mouettes, goélands, créatures légendaires, mi-femmes mi-poissons, et personnages variés, au nombre desquels figurent un maharadjah, une cantatrice et la Belle Otéro, célèbre danseuse, chanteuse et courtisane de la Belle Epoque, qui entamera ici un simulacre d’espagnolade. Valse, mazurka, sensuelle farruca, pas de deux agrémentent une action où l’on retrouve des allusions à La Mer de Debussy ou à la Valse des patineurs de Waldteufel. Des airs chantés s’y ajoutent, dont une Habanera par la voix langoureuse de la mezzo Miriam Blennerhassett, que l’on retrouve plus loin avec des membres du RTÉ Chamber Choir, qui interviennent aussi sans elle à deux reprises. Lors des représentations de 1946, Les Sirènes, dont l’argument est assez alambiqué, ne connut pas un grand succès et disparut de l’affiche après dix-neuf soirées. On reconnaîtra que l’atmosphère créée par Lord Berners, si elle est fraîche et dansante, témoigne d’une inspiration un peu courte. 

La suite de ballet Cupidon et Psyché de 1939 s’inspire d’une légende grecque tirée d’un récit d’Apulée, auteur du deuxième siècle avant notre ère. Cette histoire d’amour entre un dieu et une mortelle, dont on trouvera le synopsis détaillé dans la notice, rappelle quelque peu le style d’Offenbach par son humour bouffe déjanté, mais un peu lourd, dont certains aspects, par exemple Jupiter exécutant le pas de l’oie à la manière des fascistes de Mussolini, ne soulevèrent pas l’enthousiasme comique escompté lors de la création à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Même si la RTÉ Sinfonietta, phalange irlandaise dirigée par David Lloyd-Jones (°1934), manifeste beaucoup d’entrain dans les gravures de ces ballets, captés tous deux à Dublin en novembre 1994 (Cupidon et Psyché faisait alors l’objet d’une première discographique mondiale), cela ne suffit pas pour nous convaincre que ces partitions de l’esthète décontracté qu’était Lord Berners méritent plus qu’une écoute occasionnelle, qui sera cependant bienveillante.

Son : 8  Notice : 10  Répertoire : 6  Interprétation : 8

Jean Lacroix    

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