Les Concertos du Concours : le 1er Concerto en mineur de Chopin - Guide d'écoute

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C'est Aljosa Jurinic qui proposera mercredi en début de soirée le 1er Concerto de Chopin en mi mineur op. 11. Ils n'étaient que 4 candidats sur les 76 à le proposer au départ; il en restait 2 en demi-finales et... il n'en reste plus qu'un...
On le sait : à part quelques partitions de musique de chambre et un recueil de chants polonais, Frédéric Chopin composera uniquement pour le piano, son confident. C'est avec ses deux Concertos pour piano et quelques pièces de bravoure -Krakowiak, Variations sur "là ci darem la manio" et l'Andante spianato et Grande Polonaise- qu'il toucha à l'orchestre alors qu'il n'avait pas encore ou à peine 20 ans et vivait encore à Varsovie, avant de rejoindre Vienne puis Paris où il mourut.
En fait, le 1er Concerto en mi mineur a été composé après le 2e en fa mineur. Ce dernier a vu le jour à la fin de l'hiver 1829; le mi mineur six mois plus tard, à l'été 1830. Il fut créé le 1er octobre de la même année avec le compositeur au piano ; c'était son dernier concert en Pologne avant son départ pour Vienne. Le Concerto est dédié au célèbre pianiste Friedrich Kalkbrenner.

Effectif orchestral : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes 1 trombone, timbales, violons 1, violons 2, altos, violoncelles, contrebasses.
On pourrait se demander pourquoi un tel effectif orchestral. Il est présent dans les Tuttis. Par contre, quand le soliste joue, l'orchestre est discret, limité à un ou deux pupitres simultanément.
Durée : env. 40'
Version choisie pour l'écoute de ces extraits : Le New Symphony Orchestra of London dirigé par Stanislaw Skrowaczewski. Pianiste : Arthur Rubinstein. Enregistrement réalisé le 8 et 9 juin 1961 (RCA Victor Gold Seal GD60832). 

I. ALLEGRO MAESTOSO
Mi mineur. 3/4.

Tabl Chopin 1_1.xlsCe premier mouvement -très ample; il dure à lui seul près de 20 minutes- est construit selon une Forme Sonate à deux groupes de Thèmes. Contrairement à un Concerto de Brahms ou de Tchaïkovski, de Mozart même, il est indubitablement l'oeuvre d'un pianiste, l'orchestre, bien que parfois très sensible, passant au second plan.

Paradoxalement, l'introduction où il présentera les thèmes et invitera le pianiste à entrer est inhabituellement longue : 138 mesures, presque 4 minutes. Mais une fois le piano entré, il ne quittera plus la scène si ce n'est pour le bref tutti de la fin de l'Exposition. Durant le Développement, le pianiste ne quittera pas son clavier et, pendant la Réexposition, il ne le quittera que pour le Tutti introductif de la reprise et le bref Tutti final.

Exposition

Thème 1 (plus précisément, 1er groupe de Thèmes)
Le 1er Thème entre en Tutti orchestral dans la nuance f sombre et mélancolique, montant vers un ff et descendant ensuite vers le p. Ce thème principal est repris avant de proposer (mes. 25 env. 0'32'') sa seconde partie.
Thème 1 (1)
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Epinglons de suite le Motif qui va traverser tout le mouvement
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Thème 1 (2)

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Une cantilène d'une profonde tristesse qui, sous des allures sentimentales, va montrer toutes les richesses de son développement. Remarquons déjà le petit motif aux violoncelles.
Mes. 36. Pont
A la mes. 61 env. 1'42'' : Thème 2

Dans la tonalité homonyme Majeure (Mi Majeur) quand il devrait classiquement être en Sol Majeur (Il le sera dans la Réexposition). 
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Plus lyrique, plus calme, plus serein, de caractère vocal et qui va connaître de précieuses modulations par la suite.

Mes. 139 env. 3'51''. Le soliste entre d'emblée -et ne nous quittera plus- de façon très virtuose avec le Thème 1 (1) dans lequel il puise son motif, ses octaves et ses accords énergiques complétés par des arpèges pleins de maestria. A 4'17'' (mes. 154), le Thème I (2) va développer toutes ses couleurs grâce à la texture du piano.

Un Pont (mes. 179 env. 5'12'') de figurations en doubles croches finement ciselées nous conduira au Thème 2 (mes. 222 env. 6'27'') d'abord exposé fidèlement comme il l'était à l'orchestre (écoutez le beau dialogue avec le cor à partir de la 30e mesure (env. 6'48'') avant d'être amplement développé con anima dans un grand souffle mélodique de près de 50 mesures, modulé, d'une émotion grandissante et finissant par des figurations virtuoses (à partir de la mesure 275 env. 8'05'') à la main droite, puis aux deux mains, puis à la main gauche. A partir de la mesure 321 (env. 9'11''), montée chromatique et puis tremolos ben marcato ramènent le Tutti qui marque la fin de l'Exposition.

Développement (mes. 385 env. 10'45'')
Une variante du Thème 1 (2) au piano p dolce espressivo dans la tonalité plus paisible d' Ut Majeur précède le Développement proprement dit d'une grande énergie et d'une motricité sans faille.
Au piano, une tornade de doubles croches en épisodes sans cesse modulants, fait passer par presque tous les degrés de l'échelle tempérée en mineur, comme pour compenser la monotonie tonale de l'exposition.
Ce procédé, Chopin l'utilisera encore dans sa Sonate en ut mineur et le Trio en sol mineur.

A partir de la mesure 447 (env. 12'37'') revient aux cordes puis aux bois le petit motif du Thème 1 (1) sur lequel le piano continue à multiplier ses arpèges. Un peu plus loin (Mes. 467 env. 13'12'') le piano reprend le petit motif dans les basses, en octaves à la main gauche et le Développement se termine en descentes chromatiques (mes. 478 env. 13'20'') qui ramènent le Tutti pour la

Réexposition (mes. 486 env. 13'29)
Th 1 (1) au Tutti

Mes. 510 (env. 14'09'') C'est au piano qu'il revient d'enchaîner directement avec le Thème 1 (2) et le Pont (Mes. 534 env. 15'04'') suivi du Thème 2 (573 env. 16'13'') qu'il développera sur de superbes figurations, nouvelles par rapport à celles de l'Exposition.

Et celles-ci nous mènent à la Coda bien cadencée par les effets de répétitions des trilles à la main gauche, un épisode suivi d'accords de la main gauche riches en chromatismes et enharmonies pour aboutir sur de brillants tremolos qui couronnent une dernière réminiscence du motif principal à la basse.
Bref Tutti final.

II. ROMANZE - LARGHETTO (YouTube)
Mi Majeur. 4/4

Dans une lettre à son ami Tytus Woyciechowski, Chopin écrit à propos de ce mouvement de son Concerto : "Je n'y ai pas recherché la force. Il s'agit plutôt d'une romance calme et mélancolique. Elle devrait donner l'impression d'un doux regard plongé en un lieu évoquant mille souvenirs charmants, comme une rêverie par un beau temps printanier, mais au clair de lune".
Tout l'art de Chopin se retrouve ici : de longues mélodies revêtues des plus riches harmonies et une fine polyphonie qui se tisse avec les pupitres de l'orchestre; une large palette de sentiments dans leurs plus subtiles nuances.
Con sordino, les cordes introduisent la mélodie du piano annoncée par les cors.
Comme pour le premier mouvement, on peut diviser cette longue mélodie en 3 périodes ; c'est intentionnellement que je parlerai de 'Mélodie' en lieu de 'Thème', un terme qui me semble fort statique par rapport à la vocalité et à la mouvance des 'Thèmes' de ce mouvement.

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Mélodie 1 (1) Mes. 13 env. 0'56''
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Mélodie 1 (2) Mes. 23 env. 1'43''
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Mélodie 1 (3) Mes. 31 env. 2'19''

A la main gauche, un doux bercement proche de la béatitude.
Suit à la mesure 39 env. 2'58'' un petit intermède au piano où on peut entendre un très beau dialogue avec les bassons.
Mes. 52 env. 4'14''. Un très bref intermède aux cordes va nous amener à écouter à nouveau les différentes parties de cette longue Mélodie puis va s'y ajouter une nouvelle mélodie (mes. 63 env. 5'12'')

Mélodie 2
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En ut dièse mineur, agitato. Comme une bouffée d'angoisse dans cette belle rêverie. Elle est brève, mais intense par son chromatisme et son instabilité tonale visitant les plus subtiles nuances du sentiment.
A la mesure 72, tout s'apaise, sotto voce, l'angoisse se pointe dans le petit trait des cordes basses suivi de la descente d'octaves con forza.

Cet épisode est suivi (mes. 80 env. 6'17'') par la Mélodie 1 (3) en dialogue avec le basson qui, lui, énonce la Mélodie 1 (1).
Suit, à la mesure 88 le petit intermède du piano que ce dernier fait suivre d'un passage tout à fait étonnant et tout nouveau dans l'écriture musicale (mes. 101 env. 8'19'')

leggierissimo. Comme un rêve venu des voûtes célestes.
La question se pose pour les spécialistes. Comment Chopin écrit-il cela ? Des accords de 5 notes qui alternent chromatiquement et composés d'accords diminués et d'une note dissonante. Le tout dans les aigus. Chopin joue à la fois sur l'écriture harmonique et sur la tessiture, ce qui engendre un timbre tout à fait intéressant.

Mes. 104. La Mélodie 1(1) est maintenant jouée aux cordes avec des ornementations legatissimo du piano, et ce, jusqu'à la fin de la Romanze.

III. RONDO - Vivace (YouTube)
Mi Majeur. 2/4

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Exposition
Bonne humeur, vigueur, sans négliger le lyrisme, cet Rondo-Vivace est construit selon une classique forme de Rondo de Sonate avec Refrain et Couplet.
Il prend son rythme sur une danse paysanne polonaise originaire de la région de Cracovie, la Krakowiak, une danse à deux temps de tempo vif avec des rythmes syncopés, d'autant plus émouvante ici que Chopin la créera juste avant de quitter Varsovie.
On parlait d'humour, il se manifeste dès l'entrée : l'orchestre annonce, en ut dièse mineur, un climat sombre avec son motif impétueux ff  auquel répondent les bois; on ne sait trop ce qui va arriver et voila qu'entre le piano piano scherzando, lançant le thème principal qui sera le Refrain, (Thème 1) en Mi Majeur. Nous voilà rassurés.
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Une petite transition du piano (mes. 47 env. 0'53'') et le thème reprend avec un séduisant petit passage en fa dièse mineur.
Mes. 68 env. 1'15''. Un premier Tutti (Tutti 1) répond au soliste qui à son tour va lui répondre par les mêmes mesures de transition qui avaient suivi le premier énoncé du Refrain et poursuit par un bref rappel de celui-ci que va interrompre le Tutti (mes. 100 env. 1'50'').
Mes. 100 env. 1'40''. Un second Tutti (Tutti 2) va nous conduire, risoluto, à un long Pont, (passage qui mène du 1er au 2e Thème) à la mes. 119 (env. 2'10'') joué entièrement au piano, et qui, partant de ut dièse mineur va nous conduire en La Majeur pour l'énoncé, toujours au piano du Thème 2 (mes. 172 env.3'06'')

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un thème plus legato, toujours sur un rythme de Krakowiak mais dans une dynamique adoucie sur de délicieux pizzicati des cordes qui, eux non plus, ne manquent pas d'humour. Ce second Thème est repris dans des tonalités diverses : La Majeur, si mineur, Fa Majeur, la mineur pour revenir à la tonalité principale de La Majeur.
Petite transition habituelle du piano qui nous conduit à une longue ritournelle virtuose que l'on peut assimiler à un Développement (mes. 212 env. 4'03'').

Réexposition (mes. 272 env. 5'11'')
Sept mesures du Refrain dans la tonalité inattendue de Mi bémol Majeur (humour ?) puis il revient dans la tonalité attendue de Mi Majeur.

Même schéma que l'Exposition : le Refrain est suivi du Tutti 1 (mes. 295 env. 5'40''), suivi de la petite transition du piano (mes. 315 env. 6'02'') suivie du Refrain un peu varié avec le si aigu persistant jouant un rôle de petite cadence (V - I) dont l'humour n'est pas absent. Tutti 2 de l'orchestre suivi d'une longue Ritournelle virtuose du piano (mes. 329 env. 6'28'') qui mène à la Réexposition du Thème 2 et ses pizzicati des cordes dans la tonalité inhabituelle de la dominante (Si Majeur), là où on attendait la tonalité principale de Mi Majeur. Comme dans l'Exposition, il est donné à 4 reprises dans des tonalités différentes : Si Majeur, ut dièse mineur, Sol Majeur et, enfin, le Mi Majeur attendu et classiquement nécessaire pour arriver à la Coda et ainsi terminer dans la tonalité principale (Mi Majeur).

Une longue Coda (mes. 429 env. 8'47'') brillante où le piano déploie tous ses feux, tous ses charmes.
Bernadette Beyne

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