Un livre pour fêter les 200 ans de l’Opéra Royal de Wallonie

par

Serge Martin et Frédéric Marchesani : 200 ans et après, Liège, Opéra Royal de Wallonie-Liège, ISBN 978-2-9602682-0-1, 2020, 119 pages, 15 euros. 

Le 4 novembre 1820, un nouveau théâtre était inauguré à Liège quinze ans après l’incendie qui avait détruit l’ancienne salle de spectacle. Deux siècles ont passé. Pour commémorer ce bicentenaire, l’Opéra Royal de Wallonie publie un luxueux ouvrage sur papier glacé, richement illustré, dans un format A4. Confié à Michel Hambersin, critique musical du quotidien Le Soir, Serge Martin de son nom de plume, et à l’historien Frédéric Marchesani, attaché à l’administration du patrimoine, ce volume en deux parties retrace l’histoire de l’institution, depuis ses débuts marqués par la représentation de l’opéra Zémire et Azor d’André-Modeste Grétry, enfant de la cité, dont la statue se dresse fièrement devant la façade de l’édifice. Il s’attarde aussi longuement sur la période actuelle, à partir de la désignation de son directeur général et artistique Stefano Mazzonis di Pralafera, qui a succédé à Jean-Louis Grinda dès la saison 2007-2008. Si elle est logique en fonction de la date de l’anniversaire, l’entreprise n’était pas évidente, car en 2012, l’Institut du Patrimoine wallon a déjà publié, sous le titre Le Théâtre de Liège. Du Théâtre Royal à l’Opéra Royal de Wallonie, un superbe ouvrage collectif grand format de trois cents pages, rédigé par huit auteurs, sous la direction de Frédéric Marchesani. L’histoire de l’édifice y est racontée en détails, la restauration du bâtiment et son extension, achevées en cette même année 2012, y sont décrites. Pas facile de renouveler un sujet déjà évoqué, même lorsque les circonstances l’exigent ! Mais lorsque l’imagination est aux commandes, le résultat ne se fait pas attendre. 

Le nouveau livre est divisé en deux parties distinctes. Dans la première, Frédéric Marchesani a réussi le tour de force de faire une synthèse de l’historique structurel et artistique du théâtre, selon un schéma répétitif et efficace : repères chronologiques, mise en valeur d’événements, iconographie, repères culturels. Six périodes font ainsi l’objet d’un découpage. Les années 1820-1854 évoquent « des débuts mouvementés ». Après la domination hollandaise, qui a vu des célébrités comme Talma ou Mademoiselle Mars fouler la scène, le roi Léopold Ier assiste à l’ouverture de la saison 1831-1832. Des drames, dont la chute du grand lustre juste avant l’ouverture des portes en 1833, émaillent ces décennies, largement compensées par la venue de la Malibran, de Franz Liszt qui se produit en concert ou encore, de la présence de Meyerbeer ou Mendelssohn pour honorer la cérémonie d’installation du cœur de Grétry dans le socle de sa statue. Le nombre des représentations lyriques commence à être impressionnant. 

Les « fastes et déconvenues » marquent les années 1854 à 1914. Le bâtiment va bénéficier d’une modification en 1861 ; un allongement de l’édifice permet d’accueillir plus de spectateurs. Opéras, dont Carmen acclamée en 1876, ou pièces de théâtre (notamment avec Sarah Bernhardt dans la décennie 1880) se succèdent, ainsi que les traditionnels bals masqués, les opérettes ou l’opéra-féerie de la fin de l’été. Les abonnements connaissent un grand succès, les saisons battent leur plein, le théâtre est ouvert pendant sept mois d’affilée.  Une nouveauté apparaît au début du XXe siècle : la numérotation des places. A la même époque, la peinture du plafond est renouvelée, et un nouveau grand lustre est installé.

La période des deux guerres mondiales diffère : Le théâtre est fermé de 1914 à 1918 et occupé par l’armée allemande. Après le premier conflit, on relève de premières journées wagnériennes en 1926, et un nouveau fronton pour la façade en 1930. Des personnalités diverses occupent la scène : Pietro Mascagni vient diriger Cavalliera rusticana, Louis Armstrong ou l’orchestre de Ray Ventura honorent le jazz. Pendant la période 1940-944, le théâtre demeure ouvert ; on s’y précipite : la salle est chauffée, ce qui est précieux en ces temps tragiques. On y entendra même Django Reinhardt, Charles Trenet ou Tino Rossi !

Les années 1945-1967 (« le temps de la transition ») sont marquées par la direction du ténor André d’Arkor, un allongement des saisons et une diminution du nombre de soirées. Les quatre décennies qui s’étendent de 1967 à 2007 (« une gestion autonome »), voient Raymond Rossius, Paul Danblon, puis Jean-Louis Grinda se succéder à la tête du théâtre. Difficultés financières, plan de restructuration qui fait notamment disparaître la compagnie de ballet, mais aussi productions de grande valeur (125 pour Grinda), dont le défi de l’intégrale de la Tétralogie de Wagner, montée avec succès au début du XXIe siècle, sont parmi les épisodes retracés. L’ère Mazzonis va commencer en 2007, elle est toujours en cours. 

Le nombre de pages étant limité (soixante-huit pour la partie historique), Frédéric Marchesani est parfois contraint de resserrer le propos, sinon de le survoler. Ce qui est dommageable pour toute la période entre 1945 et 2007, réduite de façon un peu rapide à la portion congrue. Il faut donc se référer au volume de 2012, évoqué plus avant, pour en savoir plus, et même, en ce qui concerne le travail remarquable de Jean-Louis Grinda, le prédécesseur de Stefano Mazzonis, au magnifique volume paru en 2007, avec une iconographie somptueuse, aux éditions Versant Sud sous le titre L’Opéra de Wallonie 1996-2007. Les années Grinda

Après quelques pages intermédiaires qui situent l’arrivée du nouveau directeur général et artistique sous le titre « la route vers le bicentenaire » et les portraits esquissé des directeurs musicaux, parmi lesquels Paolo Arrivabeni, puis Speranza Scappucci, qui a pris ses fonctions en 2017, s’ouvre la deuxième partie du volume, confiée à Serge Martin, sous le titre général « L’opéra aujourd’hui et demain ». Les lignes de force du mandat de Stefano Mazzonis sont ciblées : ancrage italien dans la tradition, répertoires méconnus, lisibilité scénique, loin du Regietheater, choix qui fait parfois l’objet de contestations, politique de communication vers de nouveaux publics, en particulier les jeunes. En abordant ces sujets ainsi que les travaux de rénovation qui ont fait de l’édifice actuel un outil de travail moderne de haut niveau technique et culturel, Serge Martin définit la politique artistique qui, à côté de jeunes artistes appelés à faire leurs armes, fait appel à des vedettes internationales confirmées, comme Patrizia Ciofi, José Cura, Ruggero Raimondi, Anne-Catherine Gillet, Juan Diego Florez ou Anna Netrebko. Sans oublier les chanteurs belges, comme Jodie Devos ou Lionel Lhote…

Dans le titre choisi, figure le mot « après ». Un entretien entre Stefano Mazzonis et Serge Martin clôture le livre en termes de prospection et de perspectives. Les aspects sociologiques, la place de l’institution dans la cité liégeoise, des réflexions sur la production contemporaine ou le contenu des livrets d’opéras, l’équilibre techno-financier et d’autres thèmes sont abordés au cours d’une discussion intéressante, ouverte et sereine.

Cet ouvrage tout public vendu à un prix démocratique est à la fois un bilan de deux siècles prestigieux et le reflet d’un dynamisme vivant qui n’est pas près de s’éteindre. Il constitue une utile introduction à une aventure lyrico-théâtrale dont le lustre est historique, et la volonté tournée résolument vers l’avenir. 

Jean Lacroix 

 

 

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