« Les Contes d’Hoffmann » de Jacques Offenbach à Liège

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Les Contes d’Hoffmann est révélateur d’un phénomène typique : on ne connaît d’une œuvre au long cours qu’un de ses airs ou un de ses moments qui ont occulté tout le reste de la partition : ainsi l’ « Hallelujah »  du Messie de Haendel, les premières mesures de Also sprach Zarathoustra de Strauss, l’air de la Reine de la nuit de La Flûte enchantée de Mozart ou encore le « Frère Jacques » de la 1ère Symphonie de Mahler. 

La notoriété des Contes d’Hoffmann se résume le plus souvent en sa Barcarolle (« Belle nuit, ô nuit d’amour »), « Les Oiseaux dans la charmille » ou encore « La Ballade de Kleinzack ». C’est beau, c’est envoûtant ou drôle, c’est virtuose, c’est prégnant. 

Quant à l’opéra lui-même, c’est autre chose. Certains se souviennent que le cheminement du héros va croiser trois figures féminines au destin plus que particulier : Olympia, l’automate, qui va tragiquement se briser ; Antonia, la cantatrice qui mourra tragiquement de son chant ; et Giulietta, la redoutable voleuse du reflet d’un homme tragiquement piégé dans son miroir magique.

Si d’autres opéras ont des intrigues plus que compliquées (ils sont un sacré défi à l’art de résumer en quelques mots), le problème de celui-ci est qu’il est à « partition flottante » ! Offenbach est mort bien avant de lui avoir donné une version finale ; un autre l’a complété ; d’autres l’ont raccourci, l’ont restructuré, l’ont restauré. Les directions d’opéras et les metteurs en scène ont leurs points de vue, liés à la durée de la représentation (celle de Liège fait quasi quatre heures, les deux entractes inclus -ce qui est très long en soirée) ou à des conceptions dramaturgiques.

Ce qui explique que, à moins de choix radicaux des maîtres d’œuvre de la production, on en découvre rarement des versions vraiment cohérentes. Il faut donc accepter une navigation fluctuante pour être récompensés par quelques grands moments de performances vocales, en solo ou en duo.

Certains metteurs en scène jouent « la couleur locale », du type taverne bavaroise pour le prologue et l’épilogue, laboratoire d’un savant fou pour l’acte de la marionnette, salon bourgeois aux murs étouffants pour la cantatrice au cœur fragile et, bonheur de la tradition, canaux et palais de Venise pour l’acte du miroir voleur de reflet.

A Liège, la mise en scène « totale » (il a en effet tout conçu : mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie) de Stefano Poda ne m’a pas convaincu. Il nous confronte à un décor unique : un immense « cabinet de curiosités ». De très nombreux rayons superposés jusqu’au plafond. Une accumulation d’objets en tous genres, révélatrice de tout ce que Hoffmann a récolté dans ses errances vaines, une espèce de musée que d’ailleurs des figurants (nous ?) viennent visiter catalogue en main. Ce décor, qui offrira bien une échappée ou l’autre, enferme et contraint. Une autre idée, que Stefano Poda va décliner à satiété, est d’enfermer des personnages dans des espèces de colonnes vitrées de musée que d’autres figurants vont faire venir et sortir, vont mouvoir sur le plateau. C’est ainsi, malheureusement pour nous, que, coincée à l’intérieur d’une de ces colonnes Olympia va chanter son grand air, alors que ce sont les chœurs qui se meuvent à la façon d’automates. Tout cela est systématique, dans des déplacements molto lento qui lassent. 

Heureusement, l’œuvre nous offre des moments de magnifique intensité vocale, particulièrement au deuxième acte, celui de la cantatrice malade du cœur. Quelle splendeur dans l’écriture, quelle force dans le chant. 

J’ai assisté à la générale de cette production, mais une générale révélatrice de l’investissement et du talent remarquable des interprètes. Jessica Pratt s’impose dans son marathon vocal : incarner les quatre figures féminines (aux trois déjà citées, on ajoute Stella, la cantatrice que « ratera » aussi Hoffmann). Arturo Chacon-Cruz est un Hoffmann qui, lui aussi, tient la distance, nous valant d’intenses duos ou de remarquables airs d’états d’âme. Erwin Schrott, le méchant quadrimorphe (Lindorf, Coppelius, Docteur Miracle, Dapertutto), est redoutable de présence vocale et scénique. Julie Boulianne (la Muse et Nicklausse) est le témoin impuissant, mais vocalement exact, des échecs de son poète. Chacun de leurs partenaires (Luca Dall’amico, Vincent Ordonneau, Samuel Namotte, Valentin Thill, Julie Bailly, Roger Joakim, Jonathan Vork) assure la réussite vocale de cette production qui ne convainc pas vraiment dans ses images scéniques. Musicalement, l’œuvre va bon train grâce à la direction bienvenue de Giampaolo Bisanti. L’orchestre fait preuve d’un beau « jeu collectif » et certains de ses membres ont de belles interventions en solo. Quant au chœur, s’il a d’abord souffert, dans sa cohésion, de la mise en espace que lui a imposée la mise en scène, il s’impose par la suite. Et magnifiquement d’ailleurs, à la fin de l’œuvre, dans une magnifique procession et cérémonie de rédemption. Le moment où la muse tire à Hoffmann la belle leçon conclusive de toutes ses divagations : « Des cendres de ton cœur, réchauffe ton génie » ! Il va se consacrer à son art.

Stéphane Gilbart

Liège, Opéra Royal de Wallonie-Liège, le 17 novembre 2023 

Crédits photographiques : Photo J.Berger/ORW-Liège

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