La nouvelle intégrale des symphonies d’Anton Bruckner par le Berliner Philharmoniker

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Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonies 1 à 9. Orchestre Philharmonique de Berlin, direction : Herbert Blomstedt, Bernard Haitink, Mariss Jansons, Paavo Järvi, Zubin Mehta, Seiji Ozawa, Simon Rattle et Christian Thielemann. Enregistrements effectués entre 2009 et 2019 à la Philharmonie de Berlin.

Avec le développement du streaming et des plateformes de téléchargement la mode est au « binge watching ». On regarde la dernière saison de sa série favorite en un temps record. Même le septième art s’y met avec ces derniers temps des marathons Star Wars en prévision de la sortie du neuvième opus de la saga. Alors pourquoi pas en faire autant avec les symphonies d’Anton Bruckner ? Après tout il s’agit de notre compositeur favori ou pas loin et l’affiche de ce nouveau coffret est alléchante : les Berliner avec pas moins de huit chefs contemporains parmi les plus prestigieux. Ecouter les neuf symphonies en quasiment vingt-quatre heures c’est l’expérience que nous avons faite. 

Pourtant les intégrales symphoniques de Bruckner ce n’est pas ce qui manque ces dernières années. De Ballot à Haitink en passant par Jansons, chaque grand chef actuel apporte sa pierre à un édifice de plus en plus conséquent, sans compter les rééditions. On frôle presque l’overdose ! Dans un tel contexte discographique que peut donner cet aréopage de maestros ? 

Depuis sa création le label du Berliner Philharmoniker nous émerveille par la qualité de ses productions. Les coffrets sont luxueux, esthétiques (même si peu pratiques en terme de rangement), richement documentés et musicalement nous en avons pour notre argent. Les cycles Sibelius ou Schubert en sont la preuve éclatante. Par conséquent nos espérances étaient grandes concernant l’œuvre du natif d’Ansfelden. En neuf disques et quatre Blu-ray la phalange berlinoise met tout le monde d’accord. Pour ceux qui doutent encore Berlin est toujours au sommet.

La plus grande surprise de cette somme vient de la Huitième dirigée par Zubin Mehta. A croire qu’au soir de sa carrière le chef parsi ne voulait pas quitter la scène sans laisser une dernière emprunte de son génie. L’Allegro moderato est dantesque, c’est le démiurge qui parle. On se laisse emporter par l’atmosphère imposée. Que dire de l’Adagio ? Une quête perdue d’avance vers un idéal inaccessible. Sans doute ce mouvement raisonne-t-il pour Mehta comme un chemin de vie résumé en vingt-huit minutes inoubliables. Le final, le fameux Feierlich ne manque pas de nous submerger par ses vagues sonores répétées. Nous connaissons des dizaines de versions de l’œuvre, cette dernière ne manquera pas de se classer parmi les plus grandes réussites de la discographie.

Avec la Neuvième, ces deux dernières symphonies justifient à elles seules l’achat de ce coffret pour un fervent Brucknérien. Simon Rattle est fidèle à sa réputation de bâtisseur de cathédrales sonores. Lentement mais surement il joue sur les dynamiques et les gradations sonores pour nous offrir une lecture emprunte de plénitude. C’est beau, flegmatique (logique pour un britannique) et sans bavure. 

Parmi les autres grands moments nous citerons la Sixième par Mariss Jansons. Voir le chef letton à la tête du Berliner dans un répertoire qui lui sied si bien…on touche presque au divin ! Le premier mouvement Majestoso nous laisse pantois ! Quelle maitrise ! Et pourtant le chef comme à son habitude s’efface derrière la partition mais quand on a un tel talent cela se voit, cela s’entend. 

La force de cette anthologie c’est l’absence de réelle faiblesse. A part les deux – excellents - derniers jalons il est difficile de départager tout ce petit monde. Tout au long des neuf symphonies nous entendons surement ce qui se fait de mieux dans le domaine. Blomstedt (Troisième symphonie), Haitink (Quatrième et Cinquième symphonies) et Thielemann (Septième symphonie) sont en territoire conquis. Sans surprise on retrouve les caractéristiques qui ont fait la force de leurs précédents enregistrements à la tête de leurs orchestres respectifs. Bernard Haitink nous habitue si souvent à l’excellence qu’elle en devient presque habituelle, normale. La force de l’habitude mais pas la lassitude ! Même si le chef batave parvient le tour de force à se maintenir au sommet la pyramide il n’est pas le Lewis Hamilton de la direction. Point de lassitude (quel dernier mouvement de la Quatrième !) après autant de succès ! Chapeau ! Quelle joie également de retrouver Seiji Ozawa (Première symphonie) et Paavo Järvi (Deuxième symphonie). Bien plus qu’une direction d’orchestre, c’est une école de pensée, une pulsation que nous offrent ces deux-là.  

Même si ce coffret n’apporte pas de nouveautés musicologiques ou dans l’art de la direction, il s’impose comme une somme indispensable avec ses forces et ses faiblesses. Huit chefs, huit regards différents sur l’œuvre d’un géant encore trop méconnu du grand public. Bruckner méritait bien la crème de la direction et le plus grand orchestre du monde ! Le seul vrai regret concernant cette entreprise c’est peut-être le côté « Avengers » avec tout un tas de grands noms contrairement à un cycle propre à un seul chef qui dispose de sa propre identité. Heureusement on évite le côté « best of » grâce à la cohérence de l’ensemble. Et comme nous ne sommes pas Martin Scorsese (référence nécessaire) Plus qu’un marathon sonore nous retiendrons de ces nombreuses heures d’écoute cette inaltérable impression d’un voyage quasi « cosmique » offert par cette musique. Une longue profession de foi. Au final si les enregistrements se suivent mais tel un mantra la magie demeure, c’est là toute la grandeur de l’œuvre de Bruckner.   

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Bertrand Balmitgere

 

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  1. Ping : Mahler en intégrale à Berlin  | Crescendo Magazine

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