Les Pêcheurs de perles : radical, mais convaincant

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« Une petite communauté de pêcheurs de perles sur une île exotique… » : c’est là que les auteurs du livret, Michel Carré et Eugène Corman, et le compositeur, Georges Bizet, décident, en avril 1863, d’installer – orientalisme à la mode oblige – les péripéties de leur opéra à venir. Avec tout ce que cela entraîne comme conditions d’existence, mode d’organisation sociale, croyances, interdits religieux et transgressions.

Un peu plus de 150 ans plus tard, et après bien d’autres, le FC Bergman, un collectif belge de mise en scène, s’est emparé à son tour de cette histoire dont le livret a toujours laissé « un peu perplexe » les commentateurs, en raison notamment de ses « raccourcis ». Ils lui font subir un traitement radical !

L’île de Ceylan devient… une maison de retraite, une gériatrie, avec son lot de décès quotidiens – une morgue y est d’ailleurs installée. Un dépaysement étonnant, n’est-ce pas !

Mais absolument évident pour les membres du FC Bergman, qui nous ont déjà valu pas mal d’autres propositions tout aussi étonnantes (« Van den Vos », « Het Land Nod », « 300 el x 50 el x 30 »). Nous sommes dans une gériatrie parce que nous allons revivre les souvenirs lointains mais décisifs de Zurga, l’un des protagonistes de l’histoire (il a été en rivalité amoureuse avec Nadir. Tous deux aimaient Leïla. Celle-ci était revenue au village, sous des voiles de prêtresse. Retrouvailles, flambée amoureuse, jalousie, condamnation, rédemption). Les jeunes amoureux d’antan sont donc devenus des vieillards.

Scénographiquement, cela nous vaut un étonnant – une fois de plus – téléscopage scénique : un plateau tournant permet de découvrir successivement une salle commune de maison de retraite hyper-réalistement reconstituée et une immense vague sculptée comme prête à s’abattre sur une plage exotique.

Cette mise en perspective a trouvé sa cohérence. C’est décalé, c’est drôle, c’est émouvant, c’est pertinent. Ce qui séduit, c’est, par exemple, le dédoublement des personnages par de jeunes danseurs – ceux qu’ils ont été. C’est la beauté d’images arrêtées qui interpellent par leurs improbables équilibres ; c’est, pendant une scène dramatique, un peintre chargé des raccords du décor, mangeant tranquillement sa tartine ; c’est le groupe des vieux en pulls jacquard ; c’est la tempête concrétisée par le ballet de techniciens modifiant rapidement l’ordonnance du plateau. Et pas mal d’autres trouvailles, qui réveillent et suscitent l’intérêt pour une œuvre sinon assez poussiéreuse. Mais surtout, dans cette forme ramassée – l’œuvre est jouée sans entracte en 1h45 - cela ne porte en rien atteinte à ses charmes musicaux.

David Reiland, à la tête du Chœur et de l’Orchestre de l’Opéra des Flandres, donne à ressentir et à vivre l’orchestration raffinée de l’œuvre. Les deux rivaux sont incarnés par des chanteurs d’un certain âge, conformément au choix dramaturgique (Charles Workman-Nadir et Stefano Antonucci-Zurga). Quant à Leïla, qui se débarrasse de ses apparences de vieillarde pour redevenir la prêtresse envoûtante de ses jeunes années, elle a toute la vitalité passionnée et nuancée d’Elena Tsallagova.

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques : Annemie Augustijns

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