Les Sérénades du jeune Brahms sculptées par l’Orchestre Consuelo

par

Johannes Brahms (1833-1897) : Sérénade no 1 en ré majeur Op. 11. Sérénade no 2 en la majeur Op. 16. Victor Julien-Laferrière, Orchestre Consuelo. Septembre-octobre 2022. Livret en français, anglais, allemand. TT 76’52. Mirare MIR660

En 2019, l’Orchestre Consuelo se baptisait « l’Orchestre des Amis de Brahms », ce qui dit assez ses affinités avec le compositeur. Au programme de son premier disque avec Victor Julien-Laferrière, voici les deux Sérénades. D’avant barbe : elles naquirent à la fin des années 1850, deux décennies avant l’achèvement de la Symphonie no 1, dans le havre de la résidence princière de Detmold, et encadrent l’échec que rencontra la création du Concerto pour piano en ré mineur. Deux œuvres à peine sorties de l’adolescence, rarement enregistrées, même si quelques chefs les épinglèrent en marge des quatre symphonies. Parmi les grandes baguettes : chez Decca, Istvan Kertesz à Londres et Riccardo Chailly à Leipzig ; chez Philips, Bernard Haitink à Amsterdam et Kurt Masur à Leipzig ; Adrian Boult à Londres (Emi). Claudio Abbado (DG, en deux jets, 1967 et 1981) et Michael Tilson Thomas (CBS) se penchèrent aussi sur ces sérénades, sans que l’on puisse concéder que leur discographie rivaliserait en nombre avec celle des intégrales symphoniques.

Le CD débute par la seconde sérénade, qui se dispense de violons, et poursuit avec celle en ré majeur, plus développée et d’un matériau plus brillant. Victor Julien-Laferrière et son équipe proposent une lecture pleine et charnue, quoiqu’au grain mat et serré, ajustée dans l’acoustique étroite de la Médiathèque de Vincennes. Cette relative exiguïté renforce le caractère consortant, alimente la dimension chambriste, et permet de savourer de près les timbres des pupitres. Bref une interprétation moulante, en justaucorps, précisément contourée, où la verve ne perd pas une occasion de s’ébrouer (Scherzo de l’opus 16) mais où le lyrisme reste contenu (cordes dans le trio des Menuets de l’opus 11). Gustav Mahler estimait que Brahms « reste toujours prisonnier de la vie terrestre, n’élevant jamais les yeux vers ce qui pourrait se trouver au-dessus et au-delà », ce qui s’applique à ces sérénades et borne particulièrement l’empire de la présente réalisation. L’Adagio non troppo de l’opus 16 y déploie son chaleureux décor arcadien, mais celui de l’opus 11 y déçoit par ses ruminations prosaïques.

Globalement, on saluera toutefois une prestation généreuse et de grand soin, qui culmine dans un vigoureux Rondo scandé par les timbales. La troupe Consuelo répond avec un fort caractère aux enjeux récréatifs de ces partitions, pétries avec un art sculptural. Cet orchestre à géométrie variable va-t-il s’engager dans l’enregistrement d’autres pages brahmsiennes plus courues ? Comme les Variations Haydn, où pourraient fructueusement s’extrapoler les ingrédients interprétatifs que nous entendons ici appliqués au laboratoire anachronique du jeune Brahms. Voire les symphonies ? On ne saurait qu’encourager le projet, dans la mesure où le muscle finement dessiné que nous admirons en cet album pourrait s’apparenter aux effectifs congrus mais virtuoses de la Meininger Hofkapelle que vantait Brahms (« la moindre répétition dans la plus petite salle de Meiningen est plus importante pour moi que n'importe quel concert à Paris ou à Londres ») !

Christophe Steyne

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

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