Les Suites pour viole de Couperin, peintes à fresque

par

Secrets de Roy. François Couperin (1668-1733) : Pièces de Violes avec la basse chiffrée. Les Idées Heureuses ; La Mézangère ; Le Tic-Toc Choc ou les Maillotins ; La Chazé ; Les Sylvains ; La Ménétou ; La Séduisante ; Le Dodo ou l’Amour au Berceau (transcriptions). Mathilde Vialle, Louise Bouedo-Mallet, violes de gambe. Thibaut Roussel, théorbe, guitare baroque. Sébastien Daucé, clavecin. Juin 2019. Novembre 2019. Livret en français, anglais, allemand. TT 66’51. CVS 035

Estampillé d’un sous-titre qui courtise le roman de gare (Secrets de Roy !), ce second opus de la collection « La Chambre des rois » du label Château de Versailles Spectacles se consacre à un recueil majeur du répertoire pour viole sous Louis XV : les pièces de François Couperin publiées en 1728. Alors que le récent album de Claire Gautrot et Marouan Mankar-Bennis (L’Encelade) réduisait l’accompagnement au seul clavecin, Mathilde Vialle s’entoure ici d’un opulent continuo, capable de sertir son jeu particulièrement intense. Encore renforcé par une captation charnue et flagrante. Le Prélude donne le ton d’une interprétation dense, scrutée, sculptée dans le bronze, où les silences ne font qu’exacerber le sentiment. Un regard dilaté à la belladone sonde ce parcours où le reflux de la mesure 37 (3’31) semble prendre congé, moins à regret que comme la promesse d’une étreinte dont on fantasme l’assouvissement. Même la Sarabande, délicatement escortée par Thibaut Roussel, ne laisse rien faiblir. Allemande et Courante auront entretemps confirmé la tumescence d’un propos où la partenaire (Louise Bouedo-Mallet) damasquine en toute sa part. Images fortes, dignes d’un rite nuptial où les bustes se plaisent infiniment, comme dans les bals de Madame de La Fayette. Mystère translucide, dirait Michel Chaillou ?

Jusque-là, la virile charpente d’un phrasé prompt à havir nous a peu préparés au legato dont la soliste chamoise la Gavotte, lissant la surface mais aussi répondant au gracieusement par un archet qui révèle enfin sa subtilité voire son intériorité. Sans renier ses appas. Le même modelé domine la projection de la Gigue, où la gambiste principale subsume le relief à l’élan du rythme ternaire, pour un influx qui enivre sans froncer, humecté par un Thibaut Roussel qui peaufine le détail (la conclusion à 0’27 juste avant la reprise). Le premier cahier se referme sur une Passacaille où triomphe notre équipe : le sommet du CD, et un des plus émoustillants moments de viole qu’on ait entendu ces derniers temps. L’ornementation jubilatoire, le zèle altier, l’articulation éclatante nous offrent une de ces parades ! En contraste, la section au relatif mineur pèse son lot de sensations, progressant vers des accents au forceps : écoutez vitupérer les deux violes, raclées à l’os (3’10-), 18 mesures avant le retour à la tonique majeure qui resplendit alors, comme purgée par ce coup de théâtre.

Changement de décor avec la seconde Suite, introduit par ce touchant Prélude où la viole de Louise Bouedo-Mallet tend au jeu des retards et imitations un miroir de volupté. Mieux qu’une spéculation, non une Diane au bain, mais un dialogue subjugué. Narcisse amoureux de ses reflets, succombant à l’onde d’un autre soi, engorgé d’un amour impossible qui se résigne à la contemplation (la tendresse point tout à fait innocente de l’accord arpégé à 0’44). Comme dans la Gavotte, on saluera encore le contrôle du timbre dans la Fuguette, acescent sans trompetter, pincé juste ce qu’il faut pour une fine vascularisation. Sous ces archets, la Pompe funèbre ne se résout ni au deuil ni même au tapis de caresses, mais semble se travestir dans une humilité feinte. Sorte d’Hercule chez Omphale, contraint à l’ancillaire mais lucide. Un exercice de style. Un Hercule qui en guise de Chemise blanche doit endosser une tunique de Nessus, cadeau empoisonné que Couperin inflige au registre aigu, brûlant et tirailleur : maints violistes s’y calcinent. L’occasion pour Mathilde Vialle de prouver, après ses remarquables disques consacrés à Froberger ou Louis Couperin, que l’habit n’est pas si incommode quand on le taille à sa mesure. Pureté, cohésion, célérité, maîtrise de la redoutable tessiture : bravo. Le « Très viste » avalé d’un trait, c’est peut-être l’astuce pour ne pas s’arracher le gosier, et pour réussir ce baptême du feu.

Les deux Suites sont un peu courtes pour un disque. Le complément de programme invite quelques pages de clavecin transcrites par les artistes, ou par Robert de Visée (1655-1732) dans le cas des Sylvains, diaprés par Thibaut Roussel à découvert et qu’on retrouve dans le havre des Idées heureuses. Une gâterie que ce Tic-Toc-Choc dont la mécanique comédienne, déclinée aux cordes, mouline et bariole : irrésistible ! Parmi les autres emprunts, on admirera une Chazé pailletée par Sébastien Daucé, dont le clavecin peu valorisé par les micros contribue pourtant de main de maître aux suggestifs arrière-plans harmoniques qui avèrent le succès collectif en cette heure de musique. Laquelle se referme sur un berceau, baume encore plus attendrissant que le modèle pour clavier : un Dodo où règne le souffle poétique.

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

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