Une invitation au Sacre du Louis XIV
Le Sacre royal de Louis XIV. Ensemble Correspondances, direction Sébastien Daucé, Les Pages du Centre de musique baroque de Versailles, direction Olivier Schneebeli (2). 2019. Livret en français, en anglais et en allemand. Sous-titres des textes chantés en français, en anglais et en allemand. 108.00. DVD Château de Versailles CVS017.
Cela peut paraître étonnant, vu l’importance de l’événement : lorsque Louis XIV est sacré roi en la Cathédrale de Reims le 7 juin 1654, trois mois avant ses seize ans, la cérémonie fastueuse est accompagnée d’un important dispositif musical, dont on ignore le contenu précis ! Comme l’explique Sébastien Daucé dans le livret, on possède « un grand nombre d’indices : le déroulement de la cérémonie, les textes chantés, les différents corps de musique présents, les instruments mobilisés, le nombre des interprètes, leur emplacement dans la cathédrale et les types de musique (…) », mais on ne connaît pas « le déroulé exact » de la musique. Les festivités ont duré trois jours, il en existe des comptes rendus et des gravures montrant comment l’édifice a été aménagé pour l’occasion avec tapisseries, décors, gradins, ornements, etc. Le présent DVD, un régal pour les yeux et pour les oreilles, est le résultat de longues recherches musicologiques qui ont permis, comme dans le contexte d’une véritable enquête, de bâtir un programme cohérent et convaincant. Il ne s’agit donc pas d’une reconstitution historique, mais bien d’une évocation sonore d’un moment clef de la France du XVIIe siècle.
Répétons-le à foison : on est en présence d’un régal pour les yeux et les oreilles, même si l’on n’est pas à Reims, mais dans la Chapelle Royale du Château de Versailles dont on découvre au fil du spectacle les somptueuses voûtes colorées, les peintures et les sculptures, et même si l’on est conscient que l’on n’est pas dans la réalité, mais au cœur d’un concert public (il n’a fait que des heureux à entendre les ovations finales) qui s’est déroulé en juin 2019. Louis XIV lui-même aurait été fasciné, il n’y a pas l’ombre d’un doute ! Cette évocation est découpée en huit chapitres, dont les deux premiers précèdent la cérémonie proprement dite, à savoir l’entrée du Roi à Reims, suivie des processions pour la Reine, mère de sa Majesté, en l’honneur de la Vierge. Chaque chapitre est annoncé à voix haute à deux ou trois reprises, marquant la solennité du moindre instant. A partir du troisième, se succèdent l’entrée du Roi dans la Cathédrale, l’arrivée de la Saint Ampoule avant le serment du Roi et la bénédiction de l’épée, la présentation de la couronne, du sceptre et de la main de justice, le lâcher de colombes (symbolique) et un Te Deum pour le couronnement avant la Messe du Sacre (d’une durée spécifique d’un peu plus de vingt minutes) et, en finale, l’ouverture des portes « pour Louis le XIVe, roi de France et de Navarre ». La durée de ce cérémonial dépasse les cent minutes, mais on se surprend à en regretter la fin, parce que, la subjugation aidant, cela se déroule trop vite !
Il faut préciser que, pour la circonstance, on a mis les petits plats dans les grands : une remarquable mise en espace, signée Mickaël Phelippeau et Marcela Santander, ajoute à la partie musicale un dynamisme de bon aloi. Dès le début, avec le défilé des musiciens et des chanteurs à partir de la porte principale, dans une orgie instrumentale qui consiste en une Pavane anonyme pour le mariage de Louis XIII, on est plongé dans une atmosphère festive et sacrée à la fois. Au fil du temps, ce dynamisme va se manifester par des mouvements divers, par l’installation successive de musiciens sur des estrades placées au milieu de la chapelle, par les Pages chanteurs disposés dans la tribune de l’étage supérieur, par tout un décorum qui relève de la dramaturgie et qui fait vivre l’événement comme si l’on y assistait, il y a plus de trois siècles. L’imagination aidant, on pourrait même pousser l’orgueil jusqu’à se croire invité parmi les grands du royaume de France !
Les musiques choisies pour ce programme digne d’un souverain hors normes sont en partie anonymes, mais on trouve aussi des noms connus : Antoine Boesset, Etienne Moulinié, Henry Du Mont, Francesco Cavalli ou encore Roland de Lassus, parce que, comme le rappelle la notice, la tradition voulait que l’on associe des airs de répertoires plus anciens, plain-chant compris. Les textes chantés en 1654 sont là, et on peut les apprécier grâce aux sous-titres en trois langues. Sébastien Daucé, dont le bonheur communicatif est palpable, entraîne les chanteurs et les musiciens, par sa direction millimétrée, dans une jubilation permanente. On ne peut citer tous les artistes vocaux, mais qu’il s’agisse des dessus, des bas-dessus, des hautes-contre, des tailles ou des basses, chacun est exemplaire. Quant aux instrumentistes, on découvre avec gourmandise ou volupté les sonorités distillées par les violons, altos, violes, basses de violon, basse de Lorraine, théorbes et luths, cornets, sacqueboutes, hautbois, percussions, serpent, flûtes, orgue et clavecin. Comme les prises de vues sont astucieuses et mettent en évidence la plupart d’entre eux avec beaucoup d’intelligence, on savoure ! Quant aux Pages du Centre de musique baroque de Versailles, dont le directeur musical et pédagogique est Olivier Schneebeli, ils sont eux aussi parfaits dans leur maîtrise vocale et technique, et leurs accents juvéniles résonnent sous les voûtes avec grâce.
Ce DVD magistral va au-delà de l’événement évoqué : il a aussi une valeur pédagogique, à travers le choix des musiques, à haute valeur spirituelle ou festive, mais encore par le cérémonial à la fois sobre et solennel qu’il déploie. Il donne la possibilité de participer avec bonheur et, osons le mot, avec une jouissance de plus en plus concrète, à ce sacre royal qu’il replace au niveau de sa réelle grandeur.
Son : 10 Livret : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix