Gidon Kremer, le voyageur musical inattendu 

par

Gidon Kremer, The Warner Collection. Complete Teldec, Emi Classics & Erato Recordings.  Gidon Kremer, violon ; Martha Argerich, Andrei Gavrilov, Oleg Maisenberg, Vadim Sakharov, pianos ; Yuri Bashmet, alto ; Clemens Hagen et Mstislav Rostropovitch, violoncelles ; Berliner Philharmoniker, Chamber Orchestra of Europe, City of Birmingham Symphony Orchestra, Deutsche Kammerphilharmonie, Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Hallé Orchestra, Kremerata Baltica, Münchner Philharmoniker,  NDR-Sinfonieorchester Hamburg, Philharmonia Orchestra, Royal Concertgebouw Orchestra, Andrey Boreyko, Christoph Eschenbach, Nikolaus Harnoncourt, Herbert von Karajan, Roman Kofman, Riccardo Muti, Kent Nagano, Sir Simon Rattle. 1976-2006. Notice en anglais, allemand et français.  1 coffret de 22 CD Warner. Warner 0 190295 116422.        


L’addition des catalogues EMI, Teldec et Erato permet à Warner de proposer un beau portrait du violoniste Gidon Kremer. Ce parcours musical de 30 ans commence et se termine à Berlin : des débuts  avec Herbert von Karajan en 1976 et une conclusion avec un récital émouvant en duo avec Martha Argerich en 2006. Ce portrait est évidemment partiel car le violoniste est très actif sous d’autres labels, mais les albums regroupés par Warner offrent un panorama de son compagnonnage avec des grands artistes (Harnoncourt, Argerich, Eschenbach…) ou ses aventures artistiques inattendues dans des couplages rares ou des explorations visionnaires à travers la musique des pays de l’ex-URSS dont l’artiste est l’un des plus éminents avocats. 

Gidon Kremer est bien évidemment un artiste inattendu que ce soit dans son approche des classiques ou dans la mise en avant de pans oubliés ou novateurs du répertoire. Du réviseur des classiques, on retient les concertos de Brahms (concerto pour violon et double concerto pour violon et violoncelle), Beethoven (avec en complément les deux romances), et Schumann (avec en addition le concerto pour piano) sous la direction de Nikolaus Harnoncourt. Ensemble, ils questionnent le texte jusqu’aux plus profond du geste créatif dans un refus catégorique de toutes facilités. L’auditeur est naturellement pris à rebrousse poil à l’image d’un Concerto pour violon de Brahms tel un ruisseau limpide et frais. Loin de la machine orchestrale apollinienne et démonstrative d’un Karajan déchaînant la puissance des pupitres d’un Philharmonique de Berlin rayonnant dans ce même concerto. La curiosité est également la marque de fabrique de l’artiste car dès son premier récital violon/piano avec son compère Andrei Gavrilov, il confronte Rossini, Hindemith, Schnittke et Rossini ! Avec Kent Nagano à Manchester, il explore une face peu connue de Britten avec le Double concerto pour violon, alto et orchestre ; en récital avec Oleg Maisenberg, il met en liens Enescu, Schulhoff, Bartók et Plakidis. Autre axe majeur de l’art de Kremer : la défense des musiques de l’ancien monde soviétique, que ce soient des compositeurs des pays baltes (Pärt, Barkauskas, Plakidis,  Tüür, Vasks…) ou les univers étonnants de Silvestrov ou Schnittke. Il faut également créditer le violoniste d’un statut de pionnier dans la programmation et l’enregistrement de ces musiques dont certaines sont devenues des tubes dont on ne compte plus les enregistrements (Pärt et Vasks), parfois jusqu’à la nausée.... Certes, on peut ne pas être sensibles à ces univers si singuliers, en particulier à travers les oeuvres de Schnittke, fabuleux (Concerto pour violon n°1) ou terriblement jargonneux (Concerto for Three), mais ces compositeurs ont marqué leur temps en explorant les marges du son et de la narration.  

Piazzolla est est un autre des péchés mignons de Gidon Kremer qui se plaît à diriger l’opéra-tango María de Buenos Aires et un album avec sa chère Kremerata Baltica, donnés dans des lectures érudites et esthétisantes qui offrent un regard intellectuel à ces partitions. L’artiste fut également un précurseur des albums conceptuels qui tournaient le dos à une réflexion éditoriale autour de grands chefs d'œuvres pour proposer un voyage musical personnel. Mais avec Gidon Kremer, rien n’est facile ; et même l’album “Le cinéma” ne cède pas au racolage démagogue et propose des oeuvres de Kancheli, Takemitsu et Dunayevsky aux côtés de celles de Nino Rota, d’Astor Piazzolla ou Charlie Chaplin. Il en va de même d’un album ‘Out of Russia” qui mêle Schnittke et Lourié à Tchaïkovski et Stravinski. 

Dès lors, ce coffret est un portrait fidèle et attachant d’un musicien inclassable et indispensable par ses visions éditoriales et ses hautes qualités musicales. Le texte d’introduction de Nicolas Derny (ancien collaborateur de Crescendo Magazine) est excellent ! 

Son : 9  Livret  : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Pierre-Jean Tribot

 

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