Les voix de Ginastera

par

JOKERAlberto GINASTERA
(1916-1983)
The Vocal Album
Plácido DOMINGO (ténor), Ana Maria MARTINEZ (soprano), Virginia TOLA (soprano), Santa Barbara Symphony, dir. : Gisèle BEN-DOR
2016-DDD-Texte de présentation en anglais, français et allemand–Warner Classics 0825646868308

Par bonheur, le monde musical n’a pas oublié le centenaire de la naissance d’Alberto Ginastera à Buenos Aires, sans conteste le plus important compositeur argentin du XXe siècle. Parmi les nombreuses commémorations, aussi bien en Amérique du Sud qu’aux États-Unis et en Europe (il s’était exilé à Genève en 1971, après le scandale provoqué par son opéra Bomarzo dans son pays), figure le présent disque contenant trois œuvres majeures de son catalogue : Cinq chansons populaires argentines (1943), des extraits de l’opéra Dom Rodrigo (1964) et Milena (1971), qui est une cantate pour soprano et orchestre d’après les Lettres à Milena de Franz Kafka, le plus personnel et le plus poignant des écrits de l’auteur pragois.
Alberto Ginastera a confessé qu’il avait été fortement fasciné par ces lettres, car on y voyait, a-t-il dit, « le créateur de tous ces récits fantastiques et métaphysiques tomber amoureux et se retrouver le cœur brisé ». Il a précisé qu’il a choisi les textes de sa cantate, comme s’il procédait à une « collage », de telle sorte que « chaque mouvement de la forme musicale correspond à une unité littéraire avec un sujet intégré ». « C’est la musique dont nous imaginons qu’elle accompagne la solitude d’une femme qui, parvenue au crépuscule de sa vie – et de toute une société – relit les lettres de son amant mort. » L’œuvre est divisée en six parties qu’on ne peut pas ne pas écouter sans frémir, ou presque, tant elles sont émouvantes, un peu à la manière des lamentos amoureux de Giacomo Puccini dans ses principaux opéras, tant les subtilités orchestrales distillées par Alberto Ginastera sont riches et éblouissantes. Et les deux extraits de Dom Rodigro qu’interprète ici Plácido Domingo montrent, eux, à quel point il possédait le sens du lyrisme et de la tragédie (il s’agit d’un premier enregistrement mondial). À quel point aussi il lui plaisait d’écrire pour la voix et d’offrir à ses chanteurs – solistes et choristes – des musiques de chair et de sang, sans les obliger à se soumettre à de pures prouesses techniques.
On devait davantage jouer et enregistrer les œuvres de ce grand compositeur. Elles sont toutes à fleur de peau.
Jean-Baptiste Baronian

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