L’insertion des jeunes musiciens dans le monde professionnel, un sujet difficile ?

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Meeting européen pour les jeunes ensembles de musique ancienne
C’est au Palais des Beaux-Arts que se tenait le 27 novembre le meeting pour le soutien aux jeunes ensembles de musique ancienne. Le Centre Culturel de Rencontre d’Ambronay organisait cette rencontre autour d’une problématique intéressante et alarmante: que faire de ces jeunes musiciens aux talents exceptionnels ?

Il existe aujourd’hui plusieurs centres européens qui proposent un encadrement sous la forme de résidence (43 dans le monde). Le but? Favoriser la formation et l’insertion de jeunes talents collectifs dans la vie professionnelle. D’autres centres, notamment en Belgique, proposent aussi ce type d’encadrement. C’est le cas pour le CAV&MA à Namur ou encore le Collegium vocale de Gand qui, chaque année, produit CD, concerts, rencontres et événements en Europe. Sortes de pépinières ou d’incubateurs, ces centres proposent une sorte de laboratoire, de mise en application de projets, le tout dans un cadre accueillant. Fort de la transmission et de l’action culturelle qu’il provoque, le centre d’Ambronay compte 45 chercheurs (musicologues, historiens, ethnologues, psychanalystes…) et organise chaque année un festival où les plus grands artistes se déplacent. Malheureusement, l’accès à ces résidences n’est pas toujours facile. Trois axes pour présenter cette réunion :

Attente et besoins des jeunes musiciens aujourd’hui
La crise économique bouleversant le monde de la culture (coupes budgétaires, faillites d’orchestres internationaux, saisons moins développées pour les salles de concerts), un musicien doit penser autrement aujourd’hui. L’époque n'est plus, où le jeune diplômé obtenait un poste dès sa sortie du conservatoire. Devant ce statisme naissant (plusieurs années d’attente pour obtenir un poste fixe), certains ensembles tirent leur épingle du jeu. C’est le cas de trois ensembles présentés dès l’ouverture de ce meeting. Les Surprises (fondé par Juliette Guignard et Louis-Noël Bestion en 2010) travaille essentiellement sur les musiques des 17e et 18e siècles. New Century baroque (orchestre baroque regroupant 11 nationalités différentes) vient d’enregistrer le Requiem de Mozart avec le Chœur de Chambre de Namur, sous la direction de Leonardo Garcia Alarcon. Et Les Esprits animaux (autour de la pensée de Descartes, faire naître les émotions et toucher l’âme), un ensemble de six membres formé en 2009 avec des élèves du Conservatoire Royal de La Haye (Pays-Bas). Pour ces musiciens, la difficulté de jouer sur des scènes prestigieuses s’intensifie de saison en saison. Motifs : coupes budgétaires ou manque d'expérience. La communication est aussi un «cheval de bataille». Ou aller, à qui parler, écrire? Pour beaucoup de musiciens, les centres de rencontre, les organismes de financements et les aides diverses ne sont pas familiers. Un accès plus aisé aux diverses sources artistiques et un accompagnement dans le développement de carrière est la principale demande des intervenants. Aussi, comment développer son propre plan de carrière, sachant que des centaines de musiciens se perfectionnent chaque jour ? Faut-il nécessairement renouveler la création ? Des recherches s’effectuent pour trouver des critères originaux (travail sur les instruments d’époque, sur la technique, sur la reconstitution d’un concert passé, travail sur le répertoire encore jamais joué). Ce sont justement ces critères originaux qui donnent l’envie de s’intéresser à un ensemble. Trouver sa propre orientation, son propre langage, voilà ce que doit élaborer un jeune ensemble de nos jours. Certains diront même qu’un œil plus jeune, peut-être plus ouvert à l’innovation, renouvellerait l’offre au public à travers une nouvelle dynamique.
Revenons aux institutions devenues internationales qui proposent un encadrement sous forme de résidence. Chaque année, le CCR d’Ambronay reçoit quelque 60 dossiers. Pour 2014, 17 seront auditionnés tandis que 4 seront sélectionnés. Les critères de sélection sont stricts et précis et chaque dossier est analysé par un jury de professeurs et musicologues. De manière plus générale, les différents centres (Ambronay, York…) recherchent des groupes constitués, aux projet originaux. L’unité d’un ensemble est l’un des critères de base propres à susciter fidélisation du public. Mais même si ces centres fournissent une démarche de qualité, que devient un ensemble à la fin de sa résidence. Parvient-il à subsister ? A t-il suffisamment intégré le monde restreint de la musique ? La réponse n'est pas encore bien claire.

Une définition pour «jeune» ?
Finalement, qu’est-ce qu’un jeune ensemble ? Question fondamentale qui génère un débat sans fin et sans réponse. Pour certains, « jeune » qualifie les musiciens de moins de 35 ans, soit des musiciens en début de carrière. D’autres jugent que des professionnels, plus âgés, peuvent encore constituer, même à 65 ans, un jeune ensemble (aussi, qu’elle est la place d’un professionnel dans un jeune ensemble ?). L’ambiguïté résulte du fait qu’aucune réglementation commune n’existe aujourd’hui, même si l’on tente depuis quelques années de créer une coopération européenne pour l’essor des jeunes musiciens. Mais posons-nous encore une autre question : est-il vraiment intéressant de créer un ensemble actuellement ? Créer un ensemble aujourd’hui, c’est chercher des concerts, gérer un budget, assumer une éventuelle comptabilité, programmer un calendrier de répétitions (et trouver une salle pour travailler), gérer les dépenses liées à la location d’une partition, aux droits et toutes sortes de détails. Les musiciens y consacrent des heures entières et négligent l’instrument. Confier ce travail à une tierce personne n'est pas aisé : pour des raisons de coûts mais aussi de confiance. Retenons surtout qu'un jeune ensemble doit être considéré comme un ensemble. Le terme « jeune » ne doit pas devenir dévalorisant.

Alors que faire ?
L’idée d’une coopération internationale créant une dynamique de développement commune semble la seule issue possible. Travailler ensemble pour agir plus rapidement. Pour célébrer un anniversaire, des conservatoires européens se rassemblent déjà pour se harmoniser une série de concerts : pourquoi ne pas développer cette idée à un niveau international? Favoriser la création de workshops, de master-classes et les échanges permanents avec des musiciens professionnels, voilà une voie sur lequel il faut avancer. L’enregistrement de CD concerne aussi ces centres de rencontre. Ambronay produit des CD pour ses ensembles en résidence, mais face à la numérisation et aux avancées technologiques, peut-on encore se permettre de croire en cet accélérateur qu’est le CD qui a pourtant contribué à l’émergence d’autres groupes dans le passé ? Un certain nombre de participants considèrent qu’un accompagnement post-résidence serait bénéfique. Dans la pépinière de ces organismes, tout semble plus facile même si le travail d’un musicien ne l’est jamais : peut-être faut-il y prévoir une formation plus développée.

Bénéficiaires du travail accompli par les équipes d’Ambronay (et les professeurs de conservatoire), les trois ensembles présentés en début de journée ont proposé trois mini-concerts. Les Surprises, dont le thème était Rebel -père et fils, débute par une lecture délicate des Caractères de la danse de Jean-Féry Rebel. Belle maîtrise des contrastes, notamment autour d’une rythmique qui ne cesse de se transformer. Ornements ravissants et caractère de la danse bien représenté. Neuf extraits du Ballet de la Paix, de François Rebel et François Francoeur poursuivent la représentation avec l’élégance musicale de la soprano Eugénie Lefebvre. Suave et douce, son timbre convient au répertoire, tout comme ses facilités techniques. L’air « Fureur, amour, secondez mon impatience » s'insère entre les extraits, toujours avec la même énergie. Les derniers extraits proposés démontrent une maîtrise de la virtuosité tout en favorisant les contours mélodiques. Cohérence et homogénéité pour la Chaconne qui conclut cette première partie.
Dans un autre style, le New Century Baroque s’attelle aux œuvres de Brescianello et Jean-Féry Rebel. Ici, c’est l’homogénéité d’un ensemble plus étendu qui prime. Belle qualité d’écoute entre les musiciens, notamment Matias Häkkinen, claveciniste redoutable dont la technique du clavier semble être naturelle. Les Elémens de Rebel dégagent ici une fraîcheur spontanée où les quelques dissonances et accords surprenants prennent une place importante et justifiée. Virtuosité remarquable dans une œuvre moderne pour l’époque. Les trois instruments à vent sont d’une justesse remarquable tandis que l’ensemble est conduit souplement par le concertmeister Naomi Burrel.
Lecture explosive d’œuvres de Boismortier, Rameau, Telemann et un chant traditionnel avec Les Esprits animaux. La vitalité de cet ensemble émerveille, entraîne le public dans sa fougue et sa passion. Virtuosité, écoute entre les musiciens, travail sur la ligne mélodique et sur l’accompagnement, bref un groupe jeune et énergique. Le chant traditionnel qui conclut, avec ses harmonies jazz, montre que ces musiciens baroques ne se cloisonnent pas dans leur monde. Trois groupes d’une pétulance et d’une écoute incroyable, à qui la résidence à Ambronay semble avoir été bénéfique. Mais face à ces musiciens de talent, comment évoluer et innover dans un monde qui comporte déjà tellement de musiciens et d’artistes ?
Pourtant, l'ancrage sociologique de la culture est très important et l’oublier est une erreur -commise malheureusement par beaucoup que font de responsables politiques. Dans un monde bouleversé par la crise, les guerres, les tensions entre les religions, rappelons François Jacob : « presque tout ce qui caractérise l’humanité se résume par le mot culture » ?
Ayrton Desimpelaere
Palais des Beaux-Arts, 27 novembre 2013

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