Ronald Brautigam, pianiste de perspectives

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Le pianiste néerlandais Ronald Brautigam est l’un des musiciens les plus considérables de notre temps. Au piano ou au pianoforte, il a gravé des intégrales des oeuvres de Haydn, Mozart, Beethoven qui sont des références incontournables tant pour leurs qualités musicales que pour les perspectives ouvertes par ses interprétations. Alors que son fidèle label Bis réédite en coffret son intégrale des concertos pour piano de Mozart, ce musicien qui fourmille de projets, répond à nos questions.

Le label Bis réédite votre intégrale des concertos de Mozart avec la Kölner Akademie et le chef d'orchestre Michael Alexander Willens dans un généreux coffret. Cet ensemble a été enregistré sur plusieurs années. Quels regards portez-vous aujourd'hui sur cette intégrale ? 

Comme pour tous les enregistrements, ce sont des réflexions sur la façon dont je jouais au moment de l'enregistrement. Il s'écoule généralement au moins un an entre l'enregistrement et la sortie d'un album, et vos réflexions sur la musique ne cessent d'évoluer et de changer. Ce n’est peut-être pas immédiatement perceptible pour les auditeurs dans leur ensemble, mais pour moi, je  réécoute ces enregistrements plus anciens avec un certain sens de “trépidation”. C'est particulièrement vrai pour un ensemble complet qui a été enregistré sur plusieurs années.  Mais là encore, un enregistrement n'est qu'un moment figé dans le temps, jamais une interprétation parfaite. Artur Schnabel a mis le doigt sur le problème lorsqu'il a dit "Je ne suis attiré que par la musique qui peut être améliorée à chaque interprétation”

L'enregistrement de l'intégrale des concertos pour piano est-il un défi pour un pianiste ? 

Enregistrer avec un orchestre est beaucoup plus difficile que d'enregistrer en solo. Comme le résultat final dépend de nombreux musiciens, on ne sait jamais quelle prise sera finalement utilisée et donc il est indispensable d'être super-concentré tout le temps. Lorsque j'enregistre seul, deux ou trois prises sont nécessaires mais avec un orchestre, il faut évidemment beaucoup plus de prises pour s'assurer que chaque partie est bien couverte. Comme nous enregistrions habituellement un disque à la fois, nous avions suffisamment de temps pour préparer correctement le répertoire. Bien sûr, se plonger dans les tout premiers concertos a été toute une belle aventure, d'autant plus qu'ils ont réellement été pensés par Mozart pour un clavecin. C’est un instrument que je ne peux jouer avec ma formation de pianiste moderne.

Pour ces enregistrements, vous jouez sur différentes pianofortes. Comment avez-vous sélectionné les différents instruments ? 

Le choix des pianoforte était évident : nous savons exactement quel instrument Mozart a joué à n'importe quelle étape de sa vie, donc c'était essentiellement notre ligne directrice.  Ma principale préoccupation était de savoir quel instrument convenait musicalement à un concerto particulier. Pour les tout premiers concertos, j'ai opté pour une copie d'un pianoforte Stein construit par le facteur Paul McNulty avec lequel j’ai déjà une longue collaboration. Et après cela, Paul apportait toujours une de ses copies d'un Walter, le pianiste viennois préféré de Mozart.

Ce coffret comprend également les concertos pour deux et trois pianos (avec A. Lubimov, M. Huss et la Sinfonietta de Haydn de Vienne). Était-il important pour vous d'enregistrer ces partitions, qui sont à la fois hybrides et originales ?   

Cet enregistrement beaucoup plus ancien avec le Haydn Sinfonietta Wien n'a jamais été prévu comme le premier du cycle complet. Le chef d'orchestre et pianiste Manfred Huss voulait surtout enregistrer les deux versions du concerto pour deux pianos. A la différence des enregistrements avec la Kölner Akademie qui étaient en fait mon propre projet, il s'agissait plutôt d'un enregistrement fortuit où il se trouve que je suis impliqué.

Avec le chef d'orchestre Michael Alexander Willens, vous avez également enregistré les concertos de Beethoven et de Mendelssohn. En quoi cette collaboration est-elle idéale pour vous ? 

Dès le premier jour où j'ai rencontré Michael Alexander Willens, cela a immédiatement matché entre nous, tant musicalement que personnellement. Nous avons fait une tournée en Suède avec quelques concertos de Mozart, et le reste, c'est de l'histoire. Bien sûr, lorsque les enregistrements de Mozart ont été terminés, nous ne voulions pas en rester là et nous avons amorcé d’autres projets.  Beethoven était bien sûr une étape logique bien que j'aie déjà enregistré l'intégrale des concertos sur un piano moderne ; mais mon rêve ultime était de faire un autre cycle sur les instruments d'époque. La perspective de l’anniversaire Beethoven en  2020 en faisait une perspective logique.

En plus de Beethoven, nous avons enregistré des concertos de Mendelssohn, un répertoire que j'avais aussi enregistré précédemment avec un orchestre moderne et dont nous étions tous deux convaincus qu’une approche plus historiquement informée serait pertinente.

En plus de l'intégrale des concertos de Mozart et de Beethoven, vous avez enregistré l'intégrale des sonates pour piano de Haydn, Mozart, Beethoven. Considérez-vous que l'art d'un compositeur ne peut être apprécié que dans sa totalité et qu'il est donc essentiel de jouer toutes ces partitions ? 

Je suis extrêmement reconnaissant d'avoir eu l'opportunité  d'enregistrer l'intégralité de la musique solo de Haydn, Mozart et Beethoven. Leur œuvre commune comprend plus de 100 sonates pour piano, et il peut être tentant, en tant qu'artiste, de ne choisir et de n'enregistrer qu’une partie de ces œuvres. Mais avoir la possibilité d'enregistrer toutes les autres sonates, y compris les moins connues, donne un aperçu beaucoup plus large et plus complet de leurs techniques de composition individuelles.

Dans les 52 sonates de Haydn, par exemple, il est fascinant d'assister à l'évolution de la forme sonate avec le développement thématique des mouvements de plus en plus important.

Quel sera votre prochain défi intégral ? Bach ?  Schubert ? Schumann ?  

Pour l'instant, il n'est pas prévu d'organiser un nouveau cycle d’oeuvres complètes. Avec  Michael et la Kölner Akademie, nous avons enregistré l'intégrale de la musique de Carl Maria von Weber pour piano et orchestre ;  cet enregistrement  devrait sortir en mars.

Je suis également occupé à la dernière étape de l'édition et de la publication des partitions et du matériel d'orchestre en vue d’un enregistrement des 5 concertos pour piano de Johann Wilhelm Wilms, surnommé le "Beethoven hollandais". Si la situation nous le permet, il est prévu de les enregistrer ce printemps.

Du fait de l’arrêt des activités, j'ai finalement eu amplement le temps de numériser et éditer la musique pour piano solo de compositeurs du début du XIXe siècle tels que Joseph Woelfl et Johann Cramer. Une partie de ce travail se retrouvera sans doute sur un prochain CD

Le site de Ronald Brautigam : www.ronaldbrautigam.com

La discographie de Ronald Brautigam pour le label Bis : https://bis.se/performers/brautigam-ronald/

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Marco Borggreve

 

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